Nostradamus lecteur d'Apianus Volventur saxa literis & ordine rectis © Dr. Lucien de Luca Mai-Juin 2004 |
1. Dans une contribution précédente, en 2003, j'annonçais que la strophe latine du prologue
de la Paraphrase de Galien n'était pas de la main de Nostredame (comme on aurait pu le croire), puisqu'on
pouvait lire qu'en 1570 Ortelius avait déjà attribué cette strophe à un missionaire jésuite
du nom de Jacob Navarchus (alias Tiego Shipman). A défaut de pouvoir jamais trouver dans une bibliothèque
les Vers Sybillins de ce Navarchus, on peut aujourd'hui confirmer qu'en effet l'auteur à l'origine de cette
strophe n'est pas Nostredame comme le pensait aussi Brind'Amour, car nous l'avons aussi retrouvée dans les Inscriptiones
sacrosanctae vetustatis, ouvrage de Petrus Apianus et Bartholomeus Amantius, édité à Ingolstadt
en 1534. L'examen complet de cette édition suffit à conclure qu'en 1547 Nostradamus a recopié sa
strophe latine depuis cet ouvrage, qu'il a nécessairement consulté. Cette strophe a ensuite reçu
diverses traductions, en plusieurs langues, dont aucune ne concorde totalement [1] ; c'est
pourquoi on pourrait parier que Nostredame aurait choisi de l'insérer dans sa Paraphrase en raison d'une
expression sybilline, familière à son style.
Voici le texte du passage complet [2] :
LES LETTRES RECTIFIÉES & DANS L'ORDRE LES CALCULS ON CONTROULERA LORS DE L'ORIENT ON VERRA OCCIDENT LES THRESORS. GANGE INDIEN TAGE SERA PRODIGIEUX DECOR SA FORTUNE L'UN POUR L'AUTRE ECHANGERA. DECERNÉ AU SOLEIL ÉTERNEL ET A LA LUNE |
3. Pour mémoire, on demandera au nostradamisant de remarquer :
que ce que : (ce que pour quae, accusatif neutre) "ce que j'ai institué par des lois,... nul ne viendra le prostituer", le premier que est redondant (sinon, il faudrait avoir un subjonctif : "ce que j'ai institué... que nul ne vienne...") ;
Mercure chez les Latins, Hermès chez les Grecs, Thot chez les Egyptiens, le scribe sacré à tête d'ibis : tous ces dieux sont pourvus d'ailes ;
prostituer : exposer en public (de pro, devant, statuere, placer), avilir, pour solvet (3ème personne singulier futur actif de solvere : délier, rompre, dissiper, détruire, payer) ;
Osiridis tué : le manuscrit est assez illisible en cet endroit, mais cette rime est crédible, puisqu'elle est conforme à l'histoire d'Osiris, tué par Seth accompagné de 72 conjurés, telle que la racontait Plutarque dans son traité d'Isis et Osiris (356 C (14)) ;
Isis... mère d'Osiridis : cette énorme incongruité n'avait jusqu'ici jamais été remarquée ! Nostredame aurait-il pu trouver ailleurs cette formule Ego sum mater Osiridis : qu'Isis serait la mère d'Osiris ? Peut-être d'une déduction, à la lecture de Diodore : "La même déesse est appelée par les uns Isis, par les autres Déméter, ou Thesmophore, ou Séléné, ou Héra, et d'autres lui donnent tous ces noms à la fois. Osiris est nommé par les uns Sarapis, par les autres Dionysos, ou Pluton, ou Ammon, par quelques-uns Zeus, et par beaucoup Pan" (I, XXV, 1). Or, dans la mythologie grecque, Héra et Zeus sont précisément les géniteurs de Dionysos, ce qui fait qu'Isis alias Héra serait aussi mère d'Osiris, alias Dionysos. En réalité, le texte d'Apianus que Nostredame reproduit in extenso est lui-même la copie d'une traduction latine fautive [8] de l'historien grec Diodore de Sicile, éditée en 1515 :
Mais le texte grec [9] qui n'a été imprimé qu'après les premières traductions latines de manuscrits, exposait en réalité ceci :
On soulignera à cette occasion les éditions et les traductions suivantes ayant fait disparaître cette grossière erreur que l'examen des textes antérieurs à la rédaction des dernières Prophéties est indispensable pour conduire correctement une exégèse scientifique de l'oeuvre nostradamienne.
« Je n'ignore pas que, selon quelques historiens, les tombeaux de ces dieux se trouvent à Nysa en Arabie et que Dionysos tirerait de là son surnom de Nyséen. Il existe même là-bas des stèles dédiées à chacune de ces divinités et portant une inscription en caractères sacrés. Sur celle d'Isis, on peut lire :
"Moi, Isis, je suis la reine du monde entier. J'ai été instruite par Hermès, et les lois que j'ai établies, nul ne peut les abroger. Je suis la fille aînée de Cronos, le plus jeune des dieux. Je suis femme et soeur du roi Osiris. Je suis celle qui la première a, pour les hommes, inventé les récoltes. Je suis la mère du roi Horus. Je suis celle qui se lève dans le ciel avec la constellation du Chien. Par moi fut bâtie la ville de Bubaste. Salut, salut à toi, Egypte, qui m'a nourrie » (Diodore, I, XXVII, 3-4).
mère et maistresse : Nostredame a ajouté un mot absent du texte latin : "maîtresse" pour reine-mère (regis mater), ou bien pour épouse (uxor) ? Pour "maîtresse" venant du latin magistra, le sens moderne de "femme aimée" était déjà connu depuis le XIIIe siècle (TLF), mais il correspond aussi au latin domina, désignant autant l'amie que la maîtresse de maison, ou la souveraine [10] ; c'est cette dernière acception que Stobée fait prononcer en grec à Horus : κυρια μητερ (Frag. XXIV).
Est-il possible que Nostredame ait inventé pour le compte de ses Prophéties ce rôle de mère-épouse, malgré l'avis de Ptolémée : " Lorsqu'il sera question des murs des nations, qu'on ne se détourne pas aussi des lois et de la façon de vivre, comme si quelqu'un promettait à un Italien qu'il épouserait sa sur, ce qui n'est ordinaire qu'aux Egyptiens, et à un Egyptien, sa mère, ce qui est seulement permis aux Perses " (Tétrabible, II). Considérant le précédent "ego sum mater", l'examen de certaines strophes évoquant des relations incestueuses entre "mère" et "fils" rendrait cette hypothèse crédible [11], sous réserve d'un examen attentif et d'une redéfinition spirituelle des concepts de "mère" et "fils" [12].
Le rôle de soeur-épouse était déjà connu chez Diodore : " Les lois d'Egypte, contraires en ce point à celles des autres nations, autorisent le mariage des frères avec leurs soeurs par l'exemple heureux d'Osiris & d'Isis" (I, 14), mais Plutarque ajoute que leur union eut même lieu avant leur naissance, et encore après la mort : "Isis et Osiris, épris d'amour l'un pour l'autre, s'unirent dans le sein de leur mère ; et de cette union formée dans les ténèbres naquit, selon quelques-uns, Aroueris, que les Egyptiens appellent le vieux Horus, et les Grecs Apollon. (356 A, (13)) ; "Isis, avec qui Osiris avait eu commerce après sa mort, en eut un fils qui naquit avant terme, et qui était boiteux. On lui donna le nom d'Harpocrate. " (cf. 358 E, (19)). Harpocrate prit ensuite (chez les Grecs) le même nom qu'Horus, lequel occupa le trône de son père mort, Osiris : dans cette situation, "trône" ne serait qu'un euphémisme, puisque le "siège" d'Isis était déjà celui d'une reine... portant aussi un siège en guise de coiffe. On pourrait conclure qu'en suivant le texte latin d'Apianus, Nostredame aurait assimilé le fils Horus (le dieu-roi réincarné, qu'il appelle Orus Apollo) à son père Osiris (le dieu-roi mort), l'époux d'Isis.
Lue dans le contexte emblématique du XVIe siècle, bien avant toute égyptologie scientifique, cette confusion de noms illustrerait l'avatar nostradamien du mort encore vivant, et du phénix androgyne ressuscité de ses propres cendres : si Osiris mort donne à Isis un fils portant le nom de son propre fils, c'est qu'il ne serait pas lui-même définitivement et complètement mort, ne serait-ce que spirituellement, et aussi que ces dieux n'auraient d'humain que certaines apparences. En réalité, il faut entrevoir dans cette histoire une métaphore spirituelle : dans l'idée du mystique Nostredame, Isis ne serait femme que comme conception religieuse (une maîtresse conception que chacun brûle d'épouser) en donnant naissance et renaissance à des enfants, ses fidèles... ce que j'ai déjà eu l'occasion d'exposer ailleurs plus amplement [12]. D'ailleurs la lecture de Plutarque aurait déjà pu orienter Nostredame dans cette confusion de mère-épouse : « la Lune "mère" [μητερα] du monde ... Isis n'est autre que la Lune ... Isis est le principe femelle de la nature, celui qui reçoit toute génération, d'où le nom de nourrice [τιθηνη : nourrice, mère], d'universel réceptacle, que lui donne Platon » (de Isis, 368 C, 372 D, (43, 52, 53)) ;
du roy Orus : Apollon pour les Grecs, mais Phoebus pour les latins, figuré avec une tête de rapace, il pourrait avoir une place dans les Prophéties avec un nez forche en II-67, un nez de milue en V-45. Si Nostredame n'a pas trouvé la description imagée d'Horus dans Horapollon, peut-être l'aura-t-il apprise indirectement chez Giraldi, mythographe de la Renaissance le plus exhaustif ; ou l'aura-t-il lue directement chez Elien : " Il semble que les Egyptiens considèrent le faucon comme un oiseau consacré à Apollon et le désignent dans leur langue par Horus. Ces oiseaux sont dignes d'admiration, et ils ont raison de dire qu'ils appartiennent à ce dieu puisqu'il sont les seuls à pouvoir regarder sans effort, sans aucune gêne et fixement, les rayons du soleil." (X, 14) ; ou encore mieux chez Porphyre cité par Eusèbe de Césarée : " La seconde phase de la lune a sa consécration dans la ville d'Apollon, et pour symbole un homme à face de faucon qui de son épieu maîtrise un Typhon en forme d'hippopotame. La statue est de couleur blanche ; la blancheur symbolise la clarté de la lune ; la face de faucon signifie qu'elle reçoit du soleil lumière et souffle. Car ils vouent le faucon au soleil, et si le faucon est pour eux symbole de lumière et de souffle, c'est en raison de sa rapidité et parce qu'il s'élève vers les hauteurs, où se trouve la lumière ; l'hippopotame, lui, signifie le pôle du couchant, du fait qu'il engloutit les passants. Le dieu que cette cité honore est Horus " [13]. S'il pouvait être inhabituel à la Renaissance de représenter aux chrétiens (figurant Jésus par un pélican) l'image exacte d'Horus dessinée sur les hiéroglyphes une tête de rapace montée sur un corps humain rien n'empêchait un lecteur d'emblèmes de voir dans l'image de l'animal entier celle de la divinité, Horus lui-même, ou son père comme le laissait croire Plutarque : " Souvent aussi on représente le dieu par un faucon " (Isis, 51, (371 F)). Corrélativement, un animal hieracocéphale, comme le griffon ou les chérubins d'Ezéchiel [14], ne représente pas nécessairement l'égyptien Horus, mais son essence mythologique, commune à beaucoup de religions, essence résumée au "pouvoir et au commandement" de nature divine (Plutarque, Isis, 50, (371 C)) ;
Procyon : (Astrocanis) le petit Chien (parce que son lever précède celui de la constellation du Grand Chien, ou Canicule) ; cf. Plutarque : " en Aegyptien Sothi, qui signifie estre grosse ou engrossement : d'où vient que par un peu de la depravation de langage l'estoille Caniculaire a esté nommee Kyon, qui vaut autant à dire comme chien, Caniculaire, laquelle on estime propre à Isis" (Amyot, 376 A, (61)) ; d'ailleurs si κυων signifie chien, il désigne aussi le prépuce (Bailly, 1950) ; « κυων : canis, canicula, fignum caelefte eft, & ftella in eius ore splendida, quae aeftus incrementa fecum affere putatur, canis eodem quo totum fignum nomine cenfentur, inquit Proclus in lib. de Sphaera. (...) Item kuôn, canis marinus, membru virile, inferior praeputi pars cuti adnata. » (Budé,1562).
réfulcie : du latin fulsi (de fulcio), étayé, soutenu, supporté, pour fulgens (de fulgo, fulsi) : étincelant, brillant, éclatant ;
la prime des fruitz inventeresse : Diodore (I, XIV, 1) enseigne qu'Isis, la première, s'avisa de l'utilité nourricière des fructifications : " Ab osiride vero eorum fructum cibi utilitate animadversa..." (Roce, 1515) ; mais Plutarque transpose ainsi dans le domaine spirituel : "ceste Deesse aiant fruition du premier Dieu" (Amyot ; 375 A, (59)) ;
Bubastis (Bubasta urbs) était le sanctuaire de Bastet, assimilée, à la suite d'Hérodote, à Artémis, alias Diane chez les Romains : " Apollon et Artémis, d'après les Egyptiens, seraient enfants de Dionysos et d'Isis ; Léto serait leur nourrice et les aurait sauvés, en langue égyptienne Apollon s'appelle Horus, Déméter Isis, Artémis Boubastis " (Histoires, II, 155) ;
condite : (latin condita : nominatif féminin singulier, participe parfait passif du latin condo, conditum) fondée, établie, gardée en sûreté, ensevelie, cachée, enfermée ;
Thesmophoriam (du grec θεσμοφορος, législateur) : des Thesmophories, fêtes célébrées par les femmes l'honneur de Déméter, pour lui rendre grâces après les semailles d'hiver et le travail de l'année ; cf. " De même sur les fêtes d'initiation à Déméter, que les Grecs appellent Thesmophories..." (Hérodote, II, 171) ;
gaude Aegypte (2ème personne impératif présent de gaudeo, Aegypte : vocatif de Aegyptus) : réjouis-toi, Egypte !
me : accusatif ou ablatif de ego ;
quae : nominatif et accusatif féminin ;
nutristi (2ème personne du singulier, forme syncopée de nutrivisti) : tu as nourri ;
que m'a nourrie (Aegypte quae me nutristi : Egypte ! qui m'a nourri ! : = "Egypte ! qui <toi> m'a nourri <moi, Isis>) ; la syntaxe un peu curieuse de la traduction nostradamienne (Egypte ! que <tu> as nourri moi <Isis>) pourrait éclairer celle du quatrain latin des Prophéties : « Quos legent mature censunto » par le même auteur. L'emploi d'un vocatif (joye) pour traduire un impératif (gaude) peut parfaitement se comprendre ainsi : dans l'esprit d'un mystique, un voeu fervent vaut bien un impératif, étant lui-même l'expression d'une volonté, d'une prière insistante ; d'ailleurs le verbe latin impero signifie proprement "prendre des mesures, faire des préparatifs pour qu'une chose se fasse" (Ernoult & Meillet). Ici, on n'est plus exactement dans le strict domaine de la grammaire scolaire, mais dans celui de la psycholinguistique, avec une expression conative (injonctive, ou supplicatoire) dans la terminologie de Jakobson. On a pu reprocher [15] au dyslexique Nostredame de ne pas bien savoir son latin ; mais en réalité, le provençal savait-il mieux le latin de Cicéron que le français de Ronsard ? L'emploi du mot "savoir" n'est ici pas du tout approprié, puisqu'il s'agit moins de connaissance que d'expression : autant vouloir apprendre à un peintre daltonien de colorier en polychromie, et de faire parfaitement la différence entre du vermillon et du carmin, ce qui n'empêche pas l'artiste de connaître son handicap et de peindre dans un camaïeu vert de gris.
Quant à l'usage du relatif que, la confusion pourrait encore venir d'une réminiscence de langue hébraïque (Touratier, 1980 ; p. 511 sq), léguée par l'un de ses ancêtres paternels : "Il faut raisonner de même lorsque c'est le relatif qui est en suspens, comme dans les phrases suivantes : Gen., 1, 11 : Terra germinet arborem quae fructus ejus in ea ; Ps., 1, 4 : Sicut pulvis qui ventus projiciit eum ; Gen., 3, 23 : Ad colendam terram quae sumptus est ex ibi. Dès que l'on suppose le relatif au nominatif, cela fait une contruction monstrueuse en latin ; mais le relatif hébreu n'a ni genre, ni nombre, ni cas, c'est une simple liaison. Qu'est-ce donc qui peut empêcher de traduire, arborum cui fructus ejus in ea, ou cujus ? Pulvis quem ventus projiciit eum ? Le premier exemple rendu en françois ne pêchera point contre la grammaire : un arbre à qui son fruit soit en lui ; le second ferait du patois." (...) "De tous les articles, celui qui s'est toujours montré le plus rebelle à l'analyse est qui, que. (...) Le bas peuple, en France, ainsi qu'un grand nombre de patois qui ne connaissent pas l'usage du relatif, imite cette tournure : l'enfant que sa mère est morte ; le valet que son maître l'a frappé ; l'écolier qu'on lui a donné le prix, etc. Toutes ces phrases sont de pur hébreu." (Bergier, des Langues, pp. 135-136 ; 269-271) ;
des cornes à sa teste : Hérodote racontait que " les statues d'Isis la représentent sous la forme d'une femme avec des cornes de vache, comme Io chez les Grecs " (Histoires, II, 41), et Diodore (Bibliothèque Historique, I, XI, 4) : " On lui attribue des cornes pour rappeler son aspect quand elle prend la forme d'un croissant, et aussi parce que chez les Egyptiens une vache lui est consacrée" ;
l'image d'Ogmios (cf. V-80, VI-42), l'Hercule gaulois, sa langue ornée d'oreille rassasie en I-96 : si Nostredame avait oublié d'en lire la description [16] chez Erasme (1516), chez Tory (1529) ou encore chez Alciat (1549), il n'a pu manquer de la remarquer sur le frontispice de l'ouvrage d'Apianus ;5. On retrouve ces trois ou quatre emprunts, chacun dans des ouvrages différents (Volventur saxa... dans la Paraphrase, Ego Isis sum...dans l'Orus Apollo, et Cron... Clemens Ivle... dans les Prophéties), ouvrages généralement attribués au seul et unique auteur incontestable de l'Orus Apollo et de la Paraphrase ; on en conclut alors que l'auteur des Prophéties, reproduisant ici et là les divers thèmes développés tantôt dans l'un tantôt dans l'autre est bien le médecin de Salon, le bibliophile dyslexique, le mystique polyglotte, l'énigmatique verbicruciste, Michel de Nostredame, et personne d'autre. On en conclut aussi que la meilleure façon d'étudier l'oeuvre du médecin de Salon est bien de la considérer comme toute autre oeuvre littéraire, comportant un ensemble de relations sémantiques et de sources, à assembler les unes aux autres, avec des inconnues et des zones d'ombre à explorer, mais aussi des certitudes matériellement établies que tout lecteur honnête respectera, faute de quoi il passera pour un de ces ineptos criticos, crédules incrédules, amateurs de fantaisies ahurissantes et d'impostures absurdes.
D.M. (pour Diis Manibus) : cette abréviation se retrouve dans la plupart des pages des Inscriptiones Sacrosanctae, elle figure aussi dans les Prophéties en VIII-66 (pour célébrer une royale union) : "Quand l'escriture D.M. trouvée ... royne & duc soubz la couverte", or cette abréviation figurait déjà dans la dernière strophe de l'Orus Apollo : "Comment ilz appelloient les dieux infernaulx qu'ilz appeloient manes D.M.". Mais si l'Orus Apollo de Nostredame a beaucoup de ressemblances avec l'édition 1543 de Kerver, dans cette dernière l'abréviation "D.M." manque, donc l'inspiration qui a présidé à sa reproduction dans les trois oeuvres de Nostredame ne vient pas directement de cette édition anonyme ;
CRON. se trouve dans le quatrain III-91 : "Cron. Roy malade, prince pied eftaché". Dans les Inscriptiones (f° XX) "CRON" est un abrégé du cognomen Cronius à rapprocher des Cronia, les fêtes de Cronos que le médecin de Salon reproduit pour illustrer la mélancolie, ou plutôt la bile noire décrite par Aristote [17], le caractère atrabilaire qui rend splénétique [18], la maladie de Saturne (Klibansky, 1989) reprise par Ficin [19] ;
IVL CLEMENS se retrouve dans les Inscriptiones aux feuillets CCCCXXI & CCCCLXXXXI et dans le quatrain X-27 : "Vn Clement, Iule & Ascans recules". Iule, autre nom d'Ascagne, fils d'Enée, c'est aussi l'espoir Troyen de Nostredame en VI-52, l'espoir des Troyens proscrits [20] racontée par Virgile dans l'Enéide (X-524) pour faire renaître d'Ilion les douces destinées (I-204) (Grimal, 1994) ;
de même que l'abréviation "D.M." est retrouvée presque à chaque page des Inscriptiones, on rencontre aussi souvent "H.M.H.N.S", signifiant d'après le glossaire trouvé dès les premières pages de l'ouvrage : Hoc Monumentum Haeredes Non Sequuntur. Cette formule abrégée signifie "ce monument ne fait pas partie de l'héritage" (d'après celle d'Horace "hoc monumentum heredem non sequuntur", Gaffiot, 1934), mais une note de bas de page dans l'ouvrage d'Apianus apporte ce commentaire providentiel : "Quod haeredes non sequebantur monumentum, sed monumentum sequebatur haeredes : que les héritiers ne se partagent pas le monument, mais que le monument incombe aux héritiers", comme une charge morale ou un devoir de mémoire envers le défunt. Cette note serait peut-être l'explication de la formule H.T.H.N.S trouvée dans Les Significations de l'Eclipse qui sera le 16 Septembre 1559, à savoir qu'il est moins nécessaire d'en faire la traduction exacte que de comprendre pourquoi l'auteur en a fait usage : il s'agit d'une inscription testamentaire (hoc testamentum...), d'une escriture D.M. que tous les "héritiers" successifs ne partageront peut-être pas, mais qui les poursuivra et accompagnera "par moyen d'herediter" jusqu'à ce qu'il s'ensuive "telles merveilleuses aventures..." (Chevignard, 1999 ; p. 452). Si on comprend ce que la lecture de ces Inscriptiones a pu suggérer à l'auteur de la Paraphrase et des Prophéties, alors on comprendra mieux pourquoi cet ouvrage d'Apianus doit désormais faire partie des références obligées pour toute recherche sur le corpus nostradamien [21].
in Logodaedalia , le 26 Mai 2004
révisé le 26 Juin 2004,
revisé le 11 Novembre 2004 (§3, notes 8 & 13).
NOTES
[1] "L'on verra en pierres lettres assez lisables/ Quand l'Occident verra d'Orient
le thresor./ Ganges, Indus, Tagus, avec autres encore/ S'entr'offriront leurs biens, choses esmerveillables" (Le
Théâtre de l'Univers, 1587) ; "The stone with mystical letters shall be rolled/ When West the
treasures of the East shall see./ The Portuguese and Indians (a thing admired)/ Shall transport their merchandise, desired
by either part" (1606) ; "Patente me farei aos do Occidente/ Quando a porta se abrir lá no Oriente/ Será
cousa pasmosa quando o Indo/ Quando o Ganges trocar segundo vejo/ Os effeitos com o Tejo" (Visconde
de Juromenha, 1838 ; p. 201) ; "Les rochers rouleront quant aux lettres et aux droits selon l'ordre <?>
quand tu verras, Occident, les forces de l'Orient ; le Gange indien, le Tage sera d'un aspect changeant ; chacun échangera
ses marchandises pour soi" (Brind'Amour, 1996 ; p. 277) ;
[2] On peut consulter
cette page sur Internet (document entier sur le site autrichien www.literature.at)
[3] Après consultation de plusieurs latinistes, je suis seul responsable des choix
dans cette traduction, tentant de conserver le caractère sybillin qu'a voulu donner le titre de l'épigramme
(comportant une anomalie avec occidiis pour occiduis), et qui a probablement attiré l'attention de
Nostredame dans sa Paraphrase de Galien, pour « mettre en lumiere quelque cas nouueau comprins par le labeur des lettres », un
cas dyslexique, le sien. Mais le lecteur pourra préférer une autre version, de son cru ou d'un autre (mot
à mot : "Seront retournées les pierres les lettres et dans l'ordre ayant été rectifiées...").
Cf. Grammaire du français classique (Fournier, 2002), citant BOUHOURS,
Suite des Remarques nouvelles sur la langue françoise, éd. de 1693 : « S'IL Y A EN
NOTRE LANGUE DES LOCUTIONS SEMBLABLES A CE QUE LES LATINS NOMMENT ABLATIF ABSOLU. On entend par l'ablatif absolu
des Latins, une locution détachée & indépendante qui ne régit & qui n'est régie
de rien ; telles que sont celles-cy, mortuo Caesare, deleto exercitu ; c'est à dire Cesar estant mort, l'armée
ayant esté défaite. Comme nostre Langue vient de la Langue Latine, nous avons imité les Latins dans
quelques-unes de ces locutions ; mais il ne nous est pas permis d'en faire comme eux autant qu'il nous plaist. En voicy
quelques-unes que j'ay remarquées. [...] Les compliments faits de part & d'autre, dit le Traducteur
de Quinte-Curce, il luy donna la Lettre. Les compliments faits est un ablatif absolu ; je crois qu'on pourroit
dire aussi, les presens receûs, le discours fini, ou quelque autre chose semblable. » Les lettres rectifiées...
Cf. Dict. Etymologique de la langue latine (Ernoult & Meillet, 1994) :
# Saxum : « Pour la forme, saxum concorde avec v. isl. sax, v. h. a. sahs 'couteau,
épée courte' ; mais le mot germanique appartient à un groupe de noms indiquant des objets tranchants
: v. h. a. sega, sego 'scie', segesna, segansa 'faux', etc. Les mots germaniques sont donc évidemment
de la famille de lat. secare. »
Cf. Dict. Historique de la langue française (Le Robert, 2000) :
# Ecrire : «... du latin scribere... qui s'apparente à des termes indoeuropéens
signifiant 'gratter, inciser', ce qui rappelle l'origine matérielle de la plupart des écritures, gravées
sur pierre ou incisées. [...] Le verbe a eu aussi les sens de 'dénombrer, décrire, présenter'
(v. 1190) ... Ecrire qqn a signifié l'enrôler (v. 1350). L'écriture, comme incision, renvoie
aux racines indoeuropéennes °SKER- : "gratter, inciser" (grec skariphos,
anglais to score, latin scribere) ; °GERBH- : "couper, entailler" (grec
graphein) ; ou germanique : °WREITAN- 'entailler, inciser' (anglais to write).
»
Cf. Dictionnaire François-Latin (Estienne, 1549) :
# Contreroller, Cuftodire, Obferuare. B.
# Rolle, Rollet, cerchez Rouler.
# Rouler, Voluere, Peruoluere, Rotare.
# Caillou, à Calculus, Cautex, Saxum, Silex.
# Riche...Richeffe, Diuitiae, Opulentia, Facultates, Opes, Fortuna,
& Fortunae fortunarû.
# Taillé, Sectus, Insectus. Taillé en pierre, E saxo scalptus, Signum formatum
è marmore.
Cf. G. Ifrah, Histoire Universelle des chiffres, Chap. 4, Chap. 5 La pratique de l'entaille
ou la comptabilité des illettrés, Chap. 16 sq., Les chiffres grecs et romains, etc.
Cf. Virgile : « mirabile visu : chose étonnante à dire, o prodige
! » (Géorgiques, 2, 30) ;
Cf. Ronsard : « Qui ne cesse de rouller, De s'avançer & couller
» (Odes, V, Tombeau de Marguerite de Valois) ;
Cf. Suétone : « Extant et ad Ciceronem, item ad familiares domesticis de rebus, in quibus, si qua occultius
perferenda erant, per notas scripsit, id est sic structo litterarum ordine, ut nullum verbum
effici posset : quae si qui investigare et persequi velit, quartam elementorum litteram, id est D pro A et perinde reliquas
commutet. : On possède enfin de César des lettres à Cicéron, et sa correspondance avec
ses amis sur ses affaires domestiques. Il y employait, pour les choses tout à fait secrètes, une espèce
de chiffre, qui en rendait le sens inintelligible (les lettres étant disposées de manière à
ne pouvoir jamais former un mot), et qui consistait, je le dis pour ceux qui voudront les déchiffrer, à
changer le rang des lettres, à écrire la quatrième pour la première, comme le d pour
le a, et ainsi des autres. » (César, 56) ; « Orthographiam, id est formulam rationemque
scribendi a grammaticis institutam, non adeo custodit ac videtur eorum potius sequi opinionem, qui perinde scribendum
ac loquamur existiment. Nam quod saepe non litteras modo sed syllabas aut permutat aut praeterit, communis hominum error
est : Il ne respecte pas absolument l'orthographe, c'est-à-dire l'art d'écrire correctement les mots
suivant les règles des grammairiens, et semble plutôt être d'accord avec les partisans d'une écriture
phonétique. Par ailleurs, il lui arrive souvent d'intervertir ou de sauter certaines lettres et même des
syllabes entières, mais ce sont là des fautes que tout le monde commet. » (Auguste, 88).
Cf. grec στοιχειον, caractère d'écriture en tant qu'élément constitutif d'une syllabe
ou d'un mot, de στοιχος, rang, rangée. (Bailly, 1950).
[4] Je remercie le Pr. José Manuel Silva de l'Université de Braga
pour m'avoir aimablement communiqué une copie de cette pièce.
[5] « Il testo dell'oracolo sibillino fu dunque inviato da Valentinus Moravus a
Hieronymus Monetarius nel 1505. Le due persone coinvolte in questa strana comunicazione sone ben note. Valentinus Moravus,
o Valentin Fernandez Aleman, o Valentin Fernandes, è il famoso stampatore, traduttore, negoziante e cortigiano
(publicus notarius) di Lisbona, editore tra l'altro di Cataldo Siculo. E Hieronymus Monetarius è naturalmente il
dotto collezionista di libri Hieronymus Münzer resoci familiare da una monografia di E. P. Goldschmidt nella serie
degli studi Warburg. » (Momigliano, 1964)
[6] Qui révèle dans ses Orationes, publiées en 1505,
les secrets desseins et les calculs intéressés de l'impérialisme portugais désirant, comme
les Espagnols en Amérique, piller l'or des païens illettrés en échange de la religion catholique
: « Orientem tandem coniunxit occidenti. Idemque in totius christianitatis commodum et augmentum fecit. Multos
prave secte homines catholicam convertendo. [...] hic hic preterfluit ille aurifer (imo verius) aureus tagus.
[...] Nam quod plerisque fluvii aurum ferant : non est tanta admiratione dignum : quanta tagum tantorum bonorum causam
extare. An Ganges (ut hinc incipiam) cum toto auro indie commodior quam lusitanie tagus fluit [...] » (Cataldo
Parisio Siculo, Epistolae & Orationes, 1500 ; Oratio habenda coram emant S. rege
ad Mariam S. portugalie reginam : tunc primum feterenam ingressuram).
[7] Au feuillet
XXIII on trouve ceci : " Calletiae in quadam Columna. EGO ISIS SVM AEGIPTI REGINA A MERCVRIO ERVDITA QVAE EGO
LEGIBVS STATVI NVLLVS SOLVET. EGO SVM OSIRIDIS. EGO SVM PRIMA FRVGVM INVENTRIX. EGO SVM ORI REGIS MATER. EGO SVM IN ASTROCANIS
REFVLGENS MIHI BVBASTA VRBS CONDITA EST. GAVDE GAVDE AEGIPTE ME NUTRISTI." ; Ce texte pourrait venir de l'édition
latine de Poggio en 1496, mais on voit bien que c'est le texte du feuillet CXXXVI qui a été reproduit
par Nostredame.
[8] Qu'on pourrait expliquer par une lecture du grec αδελφη
(soeur) compris comme comme venant de δελφυς (utérus, matrice) : "
Graecorum lingua δελφον, unum uocitari, unde et frater, inquit, αδελφος
dicitur, quasi iam non unus. Quam ob rem tamen eum nonnulli reprehendunt, nam fratres dictos aiunt, quoniam ex eadem sint
uulua et matrice nati : est enim δελφυς η μητρα, id est uulua, ut Hesychius, Suidas, alii tradunt :
nec Pollux tacuit. " (Giraldi, Syntagma VII) ; cependant la traduction latine du texte de Diodore pourrait
avoir directement subi l'influence du chrétien Eusèbe (lui-même traduit en latin par Georgius
Trapezuntius en 1470), auteur grec du IIIe siècle qui voyait bien dans Osiris à la fois l'époux
d'Isis, son frère et son fils : " η δε εν τοις μυθοις μισγομενη τω Οσιριδι
Ισις η Αιγυπτια εστι γη, διοπερ ισουται και κυει και ποιει τους καρπους
· διο ανηρ της Ισιδος Οσιρις και αδελπφος και υιος παραδεδοται : Isis autem illa, cujus cum Osiride congressionem fabulae celebrant,
Aegyptia terra est, ac propterea cum aequari ipsiuterumque gestare, ac demum fructus procreare dicitur, tum etiam Isidis
conjux, simulque frater ac filius Osiris esse perhibetur : L'Isis qui dans les mythes
s'unit à Osiris est la terre d'Egypte, parce qu'elle devient l'égale (du dieu), conçoit, donne les
fruits ; aussi Osiris est-il d'après la tradition, époux, frère et fils
d'Isis. " (Eusèbe de Césarée, Préparation Evangélique,
III, 11). Un fils spirituel, épousant la religion fraternelle de l'Egypte sa mère nourricière, probablement...
[9] Ουκ αγνοω δε διοτι τινες των συγγραφεων αποφαινονται
τους ταφους των θεων τουτων υπαρχειν εν Νυση της Αραβιας, αφ' ης και
Νυσαιον τον Διονυσον ωνομασθαι. Ειναι δε και στηλην εκατερου των
θεων επιγεγραμμενην τοις ιεροις γραμμασιν. Επι μεν ουν Ισιδος επιγεγραφθαι
·
"Εγω Ισις ειμι η βασιλισσα πασης χωρας, η παιδευθεισα υπο Ερμου,
και οσα εγω ενομοθετησα, ουδεις αυτα δυναται λυσαι · εγω ειμι η του
νεωτατου Κρονου θεου θυγατηρ πρεσβυτατη · εγω ειμι γυνη
και αδελφη Οσιριδος βασιλεως · εγω ειμι η πρωτη καρπον ανθρωποις
ευρουσα · εγω ειμι μητηρ Ωρου του βασιλεως · εγω ειμι η εν τω αστρω
τω εν τω κυνι επιτελλουσα · εμοι Βουβαστος η πολις ωκοδομηθη. Χαιρε
χαιρε Αιγυπτε η θρεψασα με."
[10] Maiftresse, Domina, Hera, Magiftra. (Estienne, 1549).
[11] Cf. VI-50 : sera l'incest commis par la maratre ; cf. VIII-75 : La
mere à Tours du filz ventre aura enfle ; cf. III-16 : Hay de lui, bien aymé de fa mere
; cf. X-55 : Mary & mere nore defdaigneront ; cf. VII-11: L'enfant Royal contemnera la mere,/ Oeil,piedz
bleffes, rude, inhobeiffant ; ce dernier exemple rappelle l'épisode raconté par Plutarque
(Isis, 358 D (20)) où Horus décapite sa mère qui vient d'épargner Typhon, or contemner
(du latin temno, mépriser, dédaigner) se dit en grec απο-τεμνω την κεφαλην, de
τεμνω couper, enlever en coupant, ravager, dévaster, mutiler. On remarquera aussi que Plutarque écrit
au même endroit qu'Horus porta la main sur sa mère pour lui ôter de la tête les marques de dignité
royale : il lui culbuta le siège (figuré par une enceinte à degrés), et à la place
le dieu Mercure lui mit une tête de vache : un signe de fécondité...
[12] Cf. Plutarque : "Isis est dans la nature comme la substance femelle, comme
l'épouse qui reçoit tous les germes productifs. Platon dit qu'elle est le récipient universel, la
nourrice de tous les êtres" (372 E, (53)). Cf. Nostradamus
et les femmes.
[13] Eusèbe de Césarée : " Το δε
δευτερον φως της σεληνης εν Απολλωνος πολει καθιερωται · εστι δε τουτου συμβολον ιερακοπρωσοπος ανθρωπος,
ζιβυνη χειρουμενος Τυφωνα, ιπποποταμω εικασμενον. Λευκον δε τη
χροα το αγαλμα της μεν λευκοτητος το φωτιζεσθαι την σεληνην παραστησασης,
του δε ιερακειου προσωπου, το αφ' ηλιου φωτιζεσθαι, και πνευμα λαμβανειν
· τον γαρ ιερακα ηλιω αφιερουσι · φωτος δε και πνευματος ιεραξ αυτοις
συμβολον δια τε την οξυκινησιαν, και το προς υψος ανατρεχειν, ενθα
το φως. Ο δε ιπποποταμος τον δυτικον δηλοι πολον, παρα το καταπινεινεις
εαυτον τους περιπολουντας. Θεος δε τιμαται εν τη πολει ταυτη ο Ωρος : Jam secundum lunae lumen
in Apollinis urbe consecrarunt, cujus symbolum homo est accipitris vultum praeferens, ac Typhonem hippopotami specie conformatum jaculo
subigens. Caeterum albi coloris simulacrum est, quo lunam suum aliunde lumen emendicare significat, quemadmodum accipitris
vultu, lumen ipsum una cum spiritu in eam ab sole derivari. Soli enim accipitrem consecrant, quo tanquam luminis pariter
ac spiritus symbolo uti solent, partim quod incitatissimo volatu feratur, partim quod altiorem in regionem, ubi lucis
plurimum, volando subeat. Hippopotamus autem polum alterum, ad quem sol occidens progreditur, eo denotat, quod ad sese
propius accedentes hianti ore absorbeat. Porro in illa ipsa civitate Horum pro deo colunt." (Praeparatio evangelica, III, 12).
Giraldi, 1548 : " Detenim non modo gryphes huic deo ascripsit antiquas, sed et coruum,
ut docet Aelianus in Historiis animalium. Unde ab Ausonio, Phoebeius oscen, coruus dicitur : cuius fabulam et Ouidius
exequitur, et Hyginus. Phurnutus tamen hoc abnuere uidetur. Coruum enim ait a Phoebo alienum esse, quod uel ipso colore
profanus ac impurus sit habitus, id est μιαρος
: illique potius cycnum auem attribuit, μουσικωτατον και λευκωτατον ορνεων, quod
scilicet auium sit maxime musicus, et candidissimus. Sane et Apollini quidam eruditissimi attribuunt accipitris genus,
quod perdicoteros dicitur, ut ministret illi : ut ossifragam et harpam Mineruae, columbarium uero Mercurio sacrum esse
tradunt, Iunoni autem tanysipteron, buteonem Dianae, Matri deum morphnon, itemque alias aliis deis : ut Lunae ibim. Porro
et huic deo Aegyptii accipitrem dicabant, ut Aelianus ait, quem sua lingua thaustum appellabant, et deum ipsum Horon,
ut planius alibi ostendam." (Historiae Deorum Gentilium de Apolline, Aesculapio, Musis, Aurora) ;
Cf. Ovide : " Tous ces personnages furent rendus sur la toile avec leur aspect propre, comme fut rendu l'aspect des
lieux. On y voit Phoebus sous les traits d'un paysan, ou portant, ici, le plumage d'un épervier, là la peau
d'un lion, ou le costume de berger " (Métamorphoses, VI, 123) ;
D'autres auteurs ont plus tard ajouté : "Apollon lui-même (le prototype de Persée), a des affinités
marquées avec l'épervier ; on se rappelle qu'Homère (Iliade, XV, 237) nous montre Apollon
descendant de l'Ida comme un épervier : Βη δε κατ' Ιδαιων, ιρηκι εοικως ωκει φασσοφονω,
ως τ' ωκιστος πετεηνων. Il y a là plus, il semble, qu'une simple image poétique, car l'épervier
passait quelque fois pour consacré à Apollon : δηλον δε, οτι Απολλωνος ιερος ο
ρηθεις ιεραξ (avec jeu de mots probable sur ιερος et ιεραξ). Homère appelle ailleurs un oiseau
congénère, le faucon (κιρκος), le messager d'Apollon (cf. son expression ιρηξ κιρκος). Eustathe
dit expressément que l'épervier est l'oiseau d'Hélios-Apollon " (Clermont-Ganneau,
1877) ;
[14] Ezéchiel, le grand prêtre juif de Babylone : " Quant à
la forme de leurs faces, ils avaient tous les quatre une face humaine, et une face de lion du côté droit,
tous les quatres une face de taureau du côté gauche, et tous les quatres une face d'aigle " (I, 10).
Nostredame met en scène un tel griffon en X-86 : Comme un gryphon viendra le roy d'Europe/ Accompaigné
de ceux d'Aquilon/ De rouges et blancs conduira grand troppe/ Et yront contre le roy de Babilon.
Or, à la suite d'Ezéchiel, on sait aussi que le griffon, animal fabuleux à corps de lion et tête
d'aigle, était un des symboles christiques et de renaissance divine figurant tout particulièrement
chez Dante dans les chants XXIX à XXXII du Purgatoire.
Cf. Isidore de Séville : " Leo pro regno et fortitudine ; et Serpens pro morte et sapientia ; idem et Vermis,
quia resurrexit ; Aquila, propter quod post resurrectionem ad astra remeavit ", Liber VII, De Deo, Angelis
et Sanctis, 43).
[15] Brind'Amour a lui-même reconnu dans la Grand' Pronostication pour 1557
"un passage latin typiquement nostradamien, c'est-à-dire incompréhensible..." : "Causis
quibus naturalis diuinatio nobis data est : sed curiosissimè obseruatis cursibus rerum caelestium, signa tamen
causarum & notas cernimus, quibus adhibita memoria, & solerti diligentia ex monumentis meorum auitum acquirrimus
eam caelestem diuinationem, non artificiosam : sed fulgentibus ostentis, monstris signisque caelestium nocturnis obseruationibus",
lequel prenait sa source dans le De divinatione de Cicéron (Brind'Amour, 1993,
p. 66).
Cf. Le Pelletier : "Nostradamus a écrit ses Centuries selon les règles de la syntaxe latine,
avec toutes les inversions de mots et de phrases qu'elle permet. Ce ne sont qu'antithèses et amphibologies. Les
datifs et ablatifs absolus, les changements de cas et de temps, les transpositions de sujet et de régime rendent
la construction équivoque ; son vocabulaire se complique d'une foule de mots celtiques, romans, espagnols, italiens,
latins, grecs et hébreux. Il met tantôt le tout pour la partie, et tantôt la partie pour le tout."
(Les Oracles..., 1867).
Concernant la Paraphrase de Galien, certains lecteurs ont trouvé cette uvre si incompréhensible
qu'elle n'aurait même pas valu la peine d'être lue : " je ne vis dans cette traduction souvent presque inintelligible,
même avec le secours du latin, qu'une suite d'offenses à la grammaire et au sens commun, de contresens faits
à plaisir, et d'omissions qui brisent le fil de la pensée, dans le but évident de révolter
le lecteur et de se faire passer pour un fou ". (F. Buget, Bulletin du bibliophile, 1861, pp. 395-412). " Le style
du traducteur est absurde, et n'offense pas moins le sens commun que la grammaire. " (J.-Ch. Brunet, Manuel du Libraire,
t. IV, col. 106) ; (Benazra, 1990, Répertoire Chronologique Nostradamique ; p. 26)
[16] Erasme (d'après Lucien de Samosate) : "
semblable à celle
que les fables des anciens poètes ont notée non sans raison chez Mercure qui, comme avec une baguette magique
ou une cithare divine, envoie ou retire le sommeil quand il lui plaît, expédie aux Enfers ou en rappelle
qui il veut, ou bien semblable à celle qu'ils ont indiquée chez Amphion et Orphée, dont l'un est
représenté mettant en marche des rochers rigides, l'autre attirant avec sa cithare les chênes et les
ornes ; ou pareille à celle que les Gaulois attribuaient à leur Ogmius qui conduisait tous les mortels où
il voulait grâce à des chaînettes partant de sa langue attachées à leurs oreilles, (
)
une éloquence qui, au lieu de caresser seulement les oreilles d'un plaisir vite évanoui, laisse dans les
coeurs des auditeurs de durable aiguillons, qui entraîne, qui transforme, qui renvoie l'auditeur tout différent
de ce qu'il était à son arrivée. " (Paraclesis, 1516).
Tory, traduisant le texte latin d'Erasme : " Les François en leur lãgue maternelle appellent Hercules
Ogmiù. & le figuret en painture dune facon nouuelle & inufitee. Ilz le figurent en vieillard chauue, nayant
que vng bien peu de cheueux derriere, & Iceulx tous chanus & blãcs. Sa peau eft ridee, & toute noire
brulee du chaut au foleil, cõme on voit que font coulorez ces vieulx mariniers, vo' diriez quil feroit vng droit
Charõ, ou vng Iapetus, lefquelz frequentent aux enfers. (
) Certes cedit vieux Hercules tire après
luy vne merueilleufement grande multitude dhõmes et femmes tous ataches lung a part l'autre par loreille. Les liens
eftoient petites chaines dor & dambre bien faictes, & femblables a carquans. Et iacoit que de ces tãt fragiles
chaines ilz foiet tous tirez & menez, touteffois il ny en a pas vng qui fen veille reculer, combien quilz le pouroient
faire facilement / fi le vouloient. (
) Et certes il ne me deplaira de dire encores ce qui me fembloit entre tout
eftre le plus mal a propos. Seurement quant le paintre ne trouuoit lieu pour atacher les bouts de toutes cefdites chaines,
entendu quê la main dextre eftoit la maffue, & en la feneftre larc, il percea la langue du Dieu Hercules
" (Champfleury, 1529 ; I, f° IIv).
Alciat : " Eloquentia fortitudine praestantior. Eloquence vault mieux que force./ L'arc en la main, en l'autre
la massue,/ Peau de lyon estant cy aperceue,/ Pour Hercules me faict ce vieillart croire./ Mais ce qu'il a marque de si
grand gloire:/ Que mener gens enchainez a sa langue/ Entendre veult, qu'il feist tant bien harengue,/ Que les François
pour ses dits de merveilles,/ Furent ainsi que pris par les oreilles./ Si donc il a par loix & ordonnances/ Rangé
les gens, plustost que par vaillances:/ Dira l'on pas (comme est vérité)/ Que l'espee a lieu aux livres
quicté ?/ Et que ung dur cueur par sages mieulx se range,/ Que gros effort son aspreté ne change ?/ Pour
ce Hercules ne fait pas grandes forces:/ Et si sont gens, apres luy grandes courses. " (Livret des Emblèmes,
1536).
[17] Aristote : " Pourquoi les hommes qui se sont illustrés dans la philosophie,
la politique, la poésie ou les arts, sont-ils tous manifestement des gens mélancholiques, au point que certains
sont saisis par des maux dont la bile mélanique est l'origine, comme le rapportent les récits héroïques
consacrés à Héraclès ? Car ce personnage semble avoir eu ce tempérament. Et c'est d'ailleurs
en pensant à lui que les Anciens appelaient maladie sacrée les accès des épileptiques. "
(Problèmes, XXX.1).
Cicéron : " Aristoteles quidem ait omnes ingeniosos melancholicos esse, ut ego me tardiorem esse non moleste
ferram : Aristote dit même que tous les hommes de grande intelligence sont mélancholiques, aussi supporterai-je
sans chagrin d'avoir l'esprit plutôt lent " (Tusculanae disputationes, I, 80).
Sénèque : " sive Aristoteli "nullum magnum ingenium sine mixtura dementia fuit" ; non
potest grande aliquid et super ceteros loqui nisi mota mens" ou selon Aristote "Nul grand esprit n'a existé
sans un mélange de folie" ; l'âme ne peut rien dire de grandiose ni d'exceptionnel, si elle n'est agitée
" (De tranquilitate, 17, 10-12).
[18] Cf. Orus Apollo : " Comment derechief le sainct escrivain/ Voulant
encores le sacriste escripvain/ Signifier ou le vates ou prophete/ Ou bien le juge ou le ris nieis ou vain/ Le prince
aussi ou bien l'odeur parfaicte/ Le chien paignoient qu'a toutz il ne faict feste/ Le scribe pour ce que celui qui doibt
estre/ Parfaict scribe beaucoup luy fault penser/.../ Parquoy le prophete au chien/.../ Parquoy le chien à
la rate comparé/ La ratte pour ce car le chien a la ratte/ Si fort legiere que souvent mort en vient/ Par cela
mesmes et la raisge faict haste/ Souvent de mort quand subit luy survient/ E ceulx qui scavent quel cuer il apartient/
Quant mourir doibvent par rate vient hectique/ L'odeur sentir le minister s'aplique,/ L'oudeur le ris ont ne vient remuer/
L'esternuer car qu'est splenetique/ Ne peult sentir, rire ne esternuer./ Comment l'homme constitué en
estat de magistrat/ Voulant escripre le magistrat loyal/ Paignoient le chien ou piez de sa figure/..." (Rollet,
1968).
[19] Ficin : " Hactenus quam ob causam Musarum sacerdotes melancholici, vel sint
ab initio, vel studio fiant, rationibus primo coelestibus, secundo naturalibus, tertio humanis, ostendisse sit satis.
Quod quidem confirmat in libro Problematum Aristoteles. Omnes enim, inquit, viros in quavis facultate praestantes melancholicos
extitisse. Qua in re Platonicum illud, quod in libro de Scientia scribitur, confirmavit, ingeniosos videlicet plurimum
concitatos furiososque esse solere. Democritus quoque nullos, inquit, viros ingenio magnos, praeter illos, qui furore
quodam perciti sunt, esse unquam posse. Quod quidem Plato noster in Phaedro probare videtur, dicens poeticas fores frustra
absque furore pulsari. Etsi divinum furorem hic forte intelligi vult, tamen neque furor eiusmodi apud Physicos, aliis
unquam ullis praeterquam melancholicis incitatur : Comment il se fait que les prêtres des Muses soient d'emblée
mélancholiques ou le deviennent par l'étude, on l'a désormais suffisamment expliqué - premièrement
par des raisons célestes, deuxièmement par des raisons naturelles, troisièmement par des raisons
humaines. Dans ses Problèmes, Aristote corrobore ce point : tous les hommes, dit-il, qui ont excellé
en quelque domaine étaient des mélancoliques. En l'occurence, Aristote a confirmé une célèbre
formule du dialogue De la science de Platon, selon laquelle les hommes de génie sont habituellement emportés
et hors d'eux-mêmes. Démocrite l'affirme aussi : il ne saurait y avoir de génies que parmi les hommes
atteints de quelque fureur. C'est ce que notre maître Platon semble bien prouver dans son Phèdre,
lorsqu'il dit que sans fureur on frappe en vain à la porte de la poésie. Et même s'il veut qu'on entende
par là une fureur divine, il n'en demeure pas moins, d'après ceux qui étudient la nature, qu'une
fureur de ce genre ne peut jamais prendre son élan que chez les mélancoliques. " (De vita triplici,
I, 5).
" Congruit insuper [sc. atra bilis] cum Mercurio atque Saturno, quorum alter omnium planaterum altissimus, investigantem
evehit ad altissima. Hinc philosophi singulares evadunt, praesertim cum animus sic ab externis motibus, atque corpore
proprio sevocatus, et quam proximus divinis, divinorum intrumentum efficiatur. Unde divinis influxibus, oraculisque ex
alto repletus nova quaedam inusitataque semper excogicat et futura praedicit : Elle s'accorde de surcroît [l'humeur
noire] tant avec Mercure qu'avec Saturne, qui, étant la plus haute des planètes, élève le
chercheur jusqu'au sommet. D'où l'excellence en philosophie, surtout lorsque l'âme s'abstrait du corps comme
des mouvements extérieurs et, s'approchant au plus près du divin, devient l'instrument des choses divines.
Nourries d'influences divines et d'oracles supérieurs, elle ne cesse de concevoir des pensées nouvelles
et extraordinaires, devenant même capable de prédire l'avenir. " (De vita triplici, I, 6).
" Saturnus autem pro vita terrena, a qua separatus ipse te denique separat, coelestem reddit atque sempiternam
: Au lieu de la vie terrestre, dont il est lui-même détaché et vous détache, Saturne assure
la vie céleste et eternelle " (De vita triplici, II, 15).
" Saturnus non facile communem significat humani generis qualitatem atque sortem, sed hominem ab aliis segregatum,
divinum aut brutum, beatum aut extrema miseria pressum. Mars, Luna, Venus, affectus et actus homini cum caeteris animantibus
aeque communes : Saturne désigne rarement une manière d'être et une destinée humaines ordinaires
; il désigne plutôt un homme séparé des autres, divin ou bestial, comblé de bonheur
ou écrasé sous le pire malheur. Mars, la Lune, Vénus donnent à l'homme les manières
de sentir et d'agir qu'il a en commun avec les autres animaux " (De vita triplici, III, 2).
Cf. Léon Hébreu (Dialoghi d'amore, Venise, 1541), traduit par Ponthus de Tyard : " L'histoire
est, que du Ciel, nommé Uranius, Vesta engendra Saturne : & estant Uranius pour ses rares vertus nommé
comme j'ay dit Ciel, Vrest sa femme fut appelée Terre, comme de fertilité, à cause qu'elle eut un
grand nombre d'enfans : & principalement Saturne incliné aux choses terrestres & inventeur ingénieux
de maintes choses appartenantes à l'agriculture, qui fut aussi tardif & melancoliq à la mode de la Terre
(...) Saturne encore est semblable à la terre, en la complexion de laquelle il influe froide & seiche, comme
luy rendant les hommes lesquelz il gouverne melancoliques, tristes, pesants, tardifs, & de couleur de terre, inclinez
à l'agriculture, édifices, & terrestres exercices : comme aussi ce mesme astre est dominateur sus toute
choses terrestres, lon le dépeint homme vieil, triste, laid de regard, pensif, mal vestu, avec une faux en la main,
pour ce qu'il fait telz les hommes de sa domination : & la faux est instrument de l'agriculture, à laquelle
il les rend inclinez. Il donne en outre grand engin, profonde cogitation, vraye science, droitz conseilz, & constance
de courage, à cause de la mixtion du pere celeste avec la mere terrestre. " (Léon Hébrieu, De
l'amour, Lyon, 1551 ; in Klibansky, 1989).
[20] Tite-Live : " Quoi qu'il en fût, l'espoir des Troyens se réalisait
d'en finir avec leur pérégrination, car ils avaient trouvé un endroit où se fixer définitivement.
Ils fondèrent une place-forte qu'ils appelèrent Lavinium en hommage à l'épouse d'Énée.
Peu après, naquit de ce remariage un garçon, qui reçut de ses parents le nom d'Ascagne " (Ante
Vrbem conditam, I, 10 ; Trad. Danielle De Clercq , 2001)
[21] Je remercie Robert BENAZRA de m'avoir obligeamment rappelé l'existence dans
le corpus nostradamien de cette formule [HTHNS] qui, ayant déjà fait l'objet de quelques remarques, n'avait
encore jamais reçu d'explication satisfaisante ; la lecture attentive des Inscriptiones a pu combler cette
lacune.