« Sera passage à Mahomet ouvert » dixit Nostradamus ~ machometa lectio, i. e. luciferi ~ in Logodaedalia © Dr. Lucien de Luca |
"Mahomet" (déformation dyslexique de l'arabe Muhammad, que Théophane le Confesseur au IXe siècle écrivait d'ailleurs Μουαμεδ ) était le plus souvent orthographié Machometus par les auteurs latins du Moyen Age (cf. le Liber Scale Machometi ; cf. Grégoire IX dans Litterae ad priorem Bucardum et fratem Theodoricum en 1239) ; mais on trouve parfois Magmed chez Richard Roussat (Magmed, ou Mahomet) ou Gabucinius (Magmed, seu Maumeth), ou encore Mahom chez Rabelais (Pantagruel, chap. XXIX ; Cinquiesme Livre, chap. XV).
Le polyglotte Nostredame aurait-il compris que le latin Machometus soit plutôt une déformation lexicale empruntée au grec μαχομαι, combattre, lutter (de μαχη : combat, lutte, querelle ; cf. hébreu מככה Makkah : blesser, massacrer,
Ainsi Nostredame évoque des songes machometiques dans une édition de la Préface à César, et des songes concavants en VII-41, c'est-à-dire des songes paraboliques, paradoxaux, contradictoires (grec machomenôs), peut-être des songes combattants, des songes angoissants comme lors des hallucinations de l'épilepsie temporale, où il n'est pas rare d'observer une sémiologie disparate, mélangeant des éléments parfois hédoniques à d'autres souvents terrifiants. Ainsi ce combat machometique fut celui nocturne de Jacob dans la Genèse (XXXII, 25-33) : "Et quelqu'un lutta avec lui jusqu'au lever de l'aurore. Voyant qu'Il ne le maîtrisait pas, Il le frappa à l'emboîture de la hanche, et la hanche
de Jacob se démît pendant qu'Il luttait avec lui. (...) On ne t'appeleras plus Jacob, mais Israël, car tu as été fort contre Dieu, et contre les hommes tu l'emporteras", (XXXII, 29), et un combat singulier nocturne encore de Moïse dans l'Exode (IV-24) : "Alors qu'en route Moïse avait halte pour la nuit, Yahvé le rencontra et tenta de le faire mourir", "Cumque effet in itinere, in diuerforio occurit ei Dominus : & volebat occidere eum.".
Des songes machometiques certainement, nocturnes autant qu'oniriques, et mahometiques peut-être...
Car, au XVIème siècle il était admis, depuis Théophane au IXe siècle [1], que Mahomet était épileptique (du grec επιληπτος : pris sur le fait, blâmable, de επιλαμβανω : saisir, mettre la main sur, attaquer, cf. επιληψις, même signification).
Cette opinion s'était longuement propagée dans de nombreux textes, puisqu'en 1480 Mandeville écrivait encore dans le Voyage autour de la Terre (Chap. XV) : " Mahomet tombait souvent du haut mal, c'est-à-dire l'épilepsie
" ; puis au XVIe siècle Rondelet, alors médecin régent à la Faculté de médecine de Montpellier (où Nostredame avait lui-même étudié) : "Haec annotaui, vt intelligerent ftudiofi epilepfiam fieri & à pituita tenui, & à fpumofa, vel à bile flaua, vel attenuata atra, aut eius ichoribus, vel à vaporibus acribus, vel ab odoratu, propter cerebri exactiorem fenfum. Hinc efficitur, vt qui ingenij acumine pollent, huic morbo frequenter obnoxij fint, vt de Caefare, Mahumete, Carolo quinto Imperatore
fcriptum legimus." (in Methodus Curandum, 1575, p. 172). Ce diagnostic clinique d'un des praticiens les plus renommés de son temps réhabilitait l'image calomnieuse qu'Alexandre du Pont, l'auteur du Roman de Mahomet, avait laissé du prophète musulman, et s'inscrivait dans un effort d'étude scientifique de la maladie comitiale, probablement inspiré d'Aristote : "Pourquoi les hommes qui se sont illustrés dans la philosophie, la politique, la poésie ou les arts, sont-ils tous manifestement des gens chez lesquels prédomine la bile noire, au point que certains sont sujets aux maladies qui sont dues à la bile noire, comme le rapportent les récits héroïques concernant Héraclès ? Car ce personnage semble avoir eu ce tempérament. Et c'est d'ailleurs en pensant à lui que
les anciens appelaient maladie sacrée les accès épileptiques. [...] Car cette affection provient chez beaucoup de patient de la bile noire. [...] C'est encore le cas d'Ajax et de Bellérophon dont l'un eut l'esprit complètement égaré et l'autre cherchait des endroits solitaires. [...] Bon nombre de héros semblent avoir souffert de la même affection. Plus près de nous, ce fut le cas d'Empédocle, de Platon, de Socrate et de beaucoup de personnages célèbres. Et c'est encore celui de la plupart de ceux qui s'adonnent à la poésie. Car beaucoup de poètes souffrent de maladies qui viennent de ce tempérament, et la nature des autres les prédispose de toute évidence à des affections de ce genre." (Problème XXX, 1).
Malgré tout, Jules-César Scaliger comparait son jeune confrère Nostradamus médecin tout comme lui, qu'il avait connu à Agen en 1533 avant la publication de ses fameux songes machometiques au prophète Mahomet (Poemata, publiées en 1574) :
De Nostradamo |
Cur Nostradamus se esse ait prophetam ? |
NOSTRADAMUS ET MAHOMET
Dans les Centuries le nom de Mahomet (ou ses dérivés) figure cinq fois :
I-18 : Sera passage à Mahomet ouvert
Le passage à Mahomet est une expression (cf. passage à tabac, passage au marbre, à la flamme, au tamis, à la moulinette, passage à niveau, à vide, passage à l'ennemi, à l'acte, à l'âge adulte) qui pourrait désigner le passage (son "échelle") ou l'épreuve que subit Mahomet dans son "ascension" spirituelle (mi'râjh), c'est aussi le latin passage de V-50 : la porte (janua en latin) qui permet de franchir une étape ou d'entrer dans un autre monde, d'aller vers des lieux ouverts de X-31, par la communication punique de la Lettre à Henry Second (cf. latin phoenix, phénix). De même qu'Ezechiel monte sur un char conduit par des lions ptérodactyles, ou Bellerophon sur Pégase, pour franchir son passage
Mahomet chevauche une bourrique ailée : « tenebat per habenas quamdam bestiam quam michi adduxerat, cui nomen erat Alborak loquela arabica quod latina interpretatur : masculus de anachibus uel anseribus quoque paruis. Hec namque bestia talis erat forme, uidelicet quod ipsa erat grandior quam asinus et paruior quam mulus » : « il tenait par les rênes une bête qu'il m'avait amenée et qui s'appelait en arabe Alborak, ce qui se traduit en latin par "caneton" ou "oison mâle". Cette bête se présentait sous la forme que voici : elle était plus grande qu'un âne et plus petite qu'une mûle » (premier chapître du Liber Scale Machometi, dans une autre terminologie Al-Burâq).
On dit aussi que Mahomet fit son "ascension" spirituelle à l'occasion de ce qu'il est convenu d'appeler un "voyage nocturne" (isrâ), évoquant une sorte d'amaurose cérébrale comme celle de Paul sur le chemin de Damas. Or les Prophéties nostradamiennes rapportent plusieurs scènes nocturnes (comme le sont aussi celles de Jacob et de Moïse) évocatrices d'un passage machometique :
prefaige tumbe d'heure nocturne en I-26,
Combat nocturne en IV-83,
nocturne augure en V-81,
Surprins de nuict en IV-8 et VIII-58,
Roy nuict bleffé sur mulet à noire houfe en VI-36. Machometa lectio : blessé : béni des dieux (cf. anglais blessed), house : botte, guêtre (hose, heuse nom féminin ; Godefroy, 1886 ; Greimas, 1994), noire : aquila en latin (féminin de l'adjectif aquilus : noire), homonyme de aquila, une aigle : le nom est resté féminin jusqu'au XVIème siècle (cf. duc noir rouge plume en IX-41, noir Rapax en IX-76). Un mulet à noire houfe désignerait alors, dans le style nostradamien, un quadrupède aux pieds ailés : Alborak dans le Liber Scale Machometi, Pégase dans la mythologie grecque, et de fantastiques griffons
pour Ezechiel.
II-86 : Egypte tremble augment Mahometique
L'Egypte, synonyme du Nil chez Homère (Odyssée, IV, 477) est un organe cordial chez Plutarque : "Ils donnent à l'Egypte le nom de Chémia, parce que le terrain en est noir comme la prunelle de l'oeil, et ils la comparent au coeur humain : car son climat est chaud, son sol humide, et elle s'etend vers le midi... " (de Isis et Osiris, 33) ; cf. les Hieroglyphica d'Horapollon (I-7-21b-22-36) revus dans l'Interprétation des Hieroglyphes :
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Or dans la symbolique exposée par Horapollon, le coeur est figuré par un ibis (les ailes du dieu Hermès), et pour Nostredame l'oeil une figure du Dieu :
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III-20 : Croix repoussées par gens Mahumetiques
repoussées comme de nouvelles pousses (cf. Et les copies aux foreftz repoulfées en VI-7, Gaule repoulfee en II-72, Vif repousser en X-82).
III-23 : Mahommet contraire, plus mer Hadriatique
le contraire du grec Machomai, le contraire de combattre et diviser, donc réunir par une rencontre amicale (sportive, cf. III-73: competiteur aura proche baftard) plutôt qu'adversive (cf. grec αμαχος, invincible) ?
mer Hadriatique, une mer forte et puissante, celle des eaux célestes, firmamentales.
III-64 : Classe Trireme contre gent Mahumetique
Machometa lectio : contre, du latin contra, vers, à la rencontre ; cf. bas latin contrafacere, au sens de imiter (cf. VI-42 : par prudent contrefaict, VIII-47 : contrefera le sage) ; cf. encore, Sacha Guitry : " Je suis contre les femmes,... tout contre..." ; cf. le grec para, pros, auprès de, proche (cf. IX-43 : "proche à descendre").
gent, du latin genitus, né, et par extension, bien né, noble, quasi gentil [2].
V-55 : Naitra puissant de loy Mahometique
de loy Mahometique, prophétique ou divine, puisque dans leur songe machométique Jacob, Moïse ou Mahomet ont rencontré Dieu.
Toujours dans les Prophéties du bibliophile de Salon, on trouve Ismael trois fois :
IX-43 : Proche à descendre l'armee Crucigere / Sera guettée par les Ismaelites
Crucigere comme les croix repoussées de III-20,
Ismaelites : « Ifmael. Vir auditus dei vel affumens exauditionem dei. Ifmahelite. Viri audito deo vel affumentes exauditiones dei.» (Jérôme). Les Ismaëlites nostradamiens seraient-ils donc ceux qui entendent i.e. comprennent la parole de Dieu (ce vieillart taciturne de la Paraphrase de Galien : il ne parle pas, car il est muet) ?
IX-60 : Grand Ismaël mettra son promontoire
le promontoire céleste, c'est le firmament qui divise les eaux (Entre deux mers dressera promontoire en I-77, Entre deux fleuues en VI-33, VIII-55, Emmy deux fleuues en IX-76), ou encore la Mésopotamie nostradamienne (III-61-99, VII-22, VIII-70).
X-31 : Ismaelites trouveront lieux ouverts
Ceux qui entendent la parole de Dieu, trouveront vers lui un passage.
DANTE, NOSTRADAMUS ET MAHOMET
Nostredame a probablement été inspiré au moins en partie par Dante, et nous allons le démontrer, après ce bref rappel :
«... le 26 Décembre 1807, un certain Carrera décrivait dans le Courrier de Turin une inscription curieuse, trouvée au-dessus de la porte d'une maison, "Cascina Morozzo, via Michele Lessona, numéro civico 68", à une demi-lieue au N.O. de Turin. En voici la teneur, d'après Coraddo Pagliani :
1556 NOSTRE DAMVS A LOGE ICI ON IL HA LE PARADIS LENFER LE PVRGATOIRE IE MA PELLE LA VICTOIRE QUI MĤONORE AVRA LA GLOIRE QVI ME MEPRISE OVRA LA RVINE HNTIERE |
Par ailleurs, on trouve dans la Commedia deux phrases en langage exotique (Enfer VII-1, XXXI-67), dont on a longtemps pensé qu'il ressemblait à de l'hébreu [3], mais que des auteurs modernes pensent pouvoir dériver de l'arabe (Gutmann, Ceccoli). Ainsi, d'après le Dr. Gutmann, qui est le premier auteur à l'avoir trouvée, « Papé satan papé satan aleppe » (Enfer, VII, 1) serait une transcription phonétique de larabe « Bab el Cheitan, bab el Cheitan, houlepte » voulant dire : porte de lenfer, porte de lenfer tu es vaincue ; et « Raphel may amech zabi almi » (Enfer, XXXI, 67-68) pour Raphel mâa âameche zâabi al min, signifirait
: lignorant et laveugle cherchent la vérité (ou encore, littéralement : "l'étourdi et l'homme aux yeux chassieux essaient de donner le savoir"). Ceci n'est pas totalement anodin puisque ce procédé littéraire, dont Plaute s'était déjà servi dans le Poenulus pour des dialogues en langue punique, a été réutilisé par Rabelais dans deux célèbres dialogues de Pantagruel (ceux de l'écolier limousin au chap. VI, et de Panurge au chap. IX).
Il n'est donc pas inconcevable qu'après ces trois illustres exemples, un auteur de moindre importance en la personne de Nostredame ait à son tour employé ce procédé dans ses Prophéties où l'on trouve mélangés :
des mots grecs comme panta chiona philon, des hellénismes avec OLCHADE, Olestant vieux, estinique, Touphon,
des mots latins comme Paris (de par, semblable, pareil, double), Noudam (phonétiquement : accusatif féminin de l'adjectif latin nudus, nu, simple), Tucham (accusatif de Tycha, du grec Τυχη la bonne Fortune),
des mots allemands comme TAG (le jour), dit amifère en VIII-61, qui porte l'âme vers l'au-delà,
des mots empruntés à l'hébreu comme NERSAF en VIII-67 (néologisme lui-même photophore, décomposable en NER, lumière, lampe, et SAF, seuil, passage, porte, pont) ; FERTSOD en IX-74 (de FER, dans la cité de FERT : une ferté, une forteresse, une cité fortifiée comme celle de Dieu pour St-Augustin, conjointe à l'hébreu SOD : le secret, le caché, i.e. Dieu lui-même, celui d'un homicide, d'un "meurtre", mot français difficile à comprendre, cryptique comme l'hébreu הוּא ou l'égyptien benu, comme le jour de la mort mis en natiuité) ; GAGDOLE en IV-97 (hébreu
GADOLE : fort, hébreu GAG : toit, grec OLE : l'Etre tout entier, ubiquitaire, universel, l'Eternel, le Tout puissant), désigne encore Dieu, le locataire de la forteresse précédente ayant le ciel pour toit, i.e. l'OLEstant vieux de IV-82 : celui qui a été, est, et sera (l'estinique de V-80), GAGDOLE qui rime avec rétrograde si on lit les syllabes à l'envers et donne OLE-GAGD, soit quasiment OLCHADE en III-64, un vaisseau de transport pris en remorque, ou une nef seconde, alignée, stecades en VII-37.
Ainsi le recours systématique à des anagrammes exégétiques n'est donc ni utile ni indispensable, quant à celui de prétendus faussaires, on attendra longtemps de voir les noms de ces impertinents sur la table.
Quoi qu'il en soit, écrivant plus de deux siècles avant Nostredame, Dante avait-il lui aussi nommé Mahomet dans sa Divine Comédie :
INFERNO ~ Canto XXVIII ~ (v. 28-36)
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22
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Già veggia, per mezzul perdere o lulla, comio vidi un, così non si pertugia, rotto dal mento infin dove si trulla. Tra le gambe pendevan le minugia ; la corata pareva e l tristo sacco che merda fa di quel che si trangugia. Mentre che tutto in lui veder mattacco, guardommi, e con le man saperse il petto, dicendo : Or vedi comio mi dilacco ! vedi come storpiato è Maometto ! Dinanzi a me sen va piangendo Alì, fesso nel volto dal mento al ciuffetto. E tutti li altri che tu vedi qui, seminator di scandalo e di scisma fur vivi, e però son fessi così.
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INFERNO ~ Canto I ~ (v. 112-120) |
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112 120 |
Ond'io per lo tuo me' penso e discerno che tu mi segui, e io sarò tua guida, e trarrotti di qui per loco etterno ; ove udirai le disperate strida, vedrai li antichi spiriti dolenti, ch'a la seconda morte ciascun grida e vederai color che son contenti nel foco, perché speran di venire quando che sia a le beate genti. |
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Commentaire de Filippo Villani : "Istud verbum « Alla seconda morte ! » est illud quod sepius repetitum clamant, morte, que veniet post resuctionem corporum in die iudici. Et verba ista conveniunt damnatis, aliter tamen, et aliter : nam illi qui sunt in limbo et solam penam damni sustinet, affectant corporum unionem gratia perfectionis individui ; pravi ex odio, ut corpora, quorum opera deliquerunt, simul cum animabus suis penis eternis <crucientur> : et nunc invident corporibus suis versis in cinerem et quod nichil hoc interim patiantur." Traduction : "Ce terme « Alla seconda morte ! » est celui que l'on proclame, souvent et sans cesse, pour une mort qui surviendrait après la résurrection des corps lors du jugement dernier. De fait, ces propos conviennent aux réprouvés, de manière
différente cependant. En effet <il y a> ceux qui sont dans les limbes et qui subissent la peine exemplaire du pénitent, en désirant fortement la réunion des corps pour atteindre la perfection de l'Un ; et <il y a> ceux qui tordus par la douleur parce que leurs corps, dont ils ont en réalité péchés tourmentent leurs âmes de souffrances éternelles, et ont envie que leurs corps soient transformés en cendre, alors qu'ils ne souffrent, en ces circonstances, nullement de cela."
On pourrait conclure de ce texte que celui qui subirait la seconde mort (s'il a déjà ressuscité une première fois) ne pourrait ressusciter non plus une seconde fois. Virgile, le guide de Dante, explique dans la descente aux Enfers d'Enée : "lorsque qu'au jour suprême la vie les a quittées, les <âmes> malheureuses ne sont pourtant pas débarassées complètement de tout le mal et de toutes les souillures corporelles, et le mal qui s'est longtemps amoncelé au fond d'elles-mêmes y a nécessairement des racines d'une longueur étonnante. Elles sont donc soumises à des châtiments et expient dans les supplices leurs maux invétérés : les unes, suspendues en l'air, sont déployées au souffle des vents légers ; les autres lavent au fond d'un vaste
gouffre le crime dont elles sont souillées, ou s'épurent dans le feu. Chacun de nous subit ses Mânes ; ensuite on nous envoie dans l'ample Elysée, dont nous occupons en petit nombre les riantes campagnes. Enfin lorsqu'un long jour, au cercle révolu des temps, a effacé la souillure profonde, et purifié le sens ethéré, étincelle du souffle primitif ; quand toutes ces âmes ont vu tourner la roue pendant mille ans, un dieu les appelle en longue file aux bords du fleuve Lethé, afin qu'oublieuses du passé elles aillent revoir la voûte de là-haut, et commencent à vouloir retourner dans des corps.". Pour ressusciter ? et éviter de subir la seconde mort.
Cette seconde mort connue des anciens Egyptiens [5] figure aussi dans l'Apocalypse : "Alors, la Mort et l'Hadès furent jetés dans l'étang de feu, c'est la seconde mort cet étang de feu, et celui qui ne se trouve pas inscrit dans le livre de vie, on le jeta dans l'étang de feu" (XX, 14) ; "Mais les lâches, les renégats, les dépravés, les assassins, les impurs, les sorciers, les idôlatres, bref tous les hommes de mensonge, leur lot se trouve dans l'étang brûlant de feu et de soufre, c'est cela la seconde mort" (XXI, 8).
Dans la mythologie grecque on retrouve aussi deux morts différentes, dont l'une comporte un passage dans les Enfers. Ainsi Démophon doit-il être passé à l'épreuve des flammes, aux bons soins de Démeter, avant de prétendre acquérir l'immortalité. De même Dionysos déjà deux fois né doit-il, avant de monter au ciel immortel et ne pas démériter de sa naissance, faire un passage chez Hadès. Psyché, l'âme papillonnante, doit, elle aussi visiter les Enfers avant de devenir immortelle dans l'Olympe, unie pour toujours à l'Amour, sa moitié. Enfin, et surtout, Héraklès lui aussi descend aux Enfers. Avant cette épreuve, où il dompte Cerbère, il s'initie aux mystères d'Eleusis qui enseignaient à
leurs adeptes les moyens de visiter le monde des morts, et d'en revenir. Rien de plus facile pour Héraklès, puisqu'il bénéficiait déjà d'un entraînement parfaitement adapté à cet effet, souffrant précisément d'une maladie empruntant sa sémiologie à la mort, qu'Hippocrate a appelée tantôt ιερος νοσος, (maladie sacrée) tantôt Ηρακλειη νοσος, maladie d'Heraklès désignant l'épilepsie pour Aristote (Problèmes, XXX, 1), et que Nostradamus a traduit par comitiale agitation Hiraclienne. En outre, pour acquérir une immortalité définitive après sa mort (une ultime résurrection), Héraklès
doit-il lui aussi subir l'épreuve des flammes.
Alors, on est bien en droit de se demander aujourd'hui si, pour les Anciens, le coma de l'épilepsie ne représentait pas un passage aussi réel que terreste dans le monde infernal des morts d'où le malade avait ressuscité, accréditant ainsi des conceptions métaphysiques autrement invérifiables, d'autant plus que les hallucinations de certains malades atteints d'épilepsie psychique renforçaient nombre de ces croyances fantastiques rattachées à l'au-delà.
Sachant qu'il en existerait donc deux, la signification de la mort dans ces textes n'est pas toujours celle d'une mort définitive (d'une RVINE HNTIERE), mais celle d'une renaissance spirituelle, une ressource souvent (sinon toujours) espérée, dans ce monde ou dans l'autre. Et dans la littérature on observe régulièrement que le concept de résurrection est associé à celui de mort allégorique, à tel point point que les mots sont constamment interchangeables, de Dante à Max Jacob, en passant par Nostredame qui, quand il écrit mort pense résurrection.
Ainsi Max Jacob, qui déclarait "ma jouissance préférée est mourir" [6], après une hallucination inaugurale ayant initié sa conversion religieuse (assortie d'une copieuse production littéraire spirituelle comme on en remarque dans certaines épilepsies temporales), a pu écrire : "Instantanement aussi, dès que mes yeux eurent rencontré l'Etre Ineffable, je me sentis déshabillé de ma chair humaine, et deux mots seulement m'emplissaient : MOURIR, NAITRE" (Défense de Tartuffe, 291).
Plusieurs siècles avant Max Jacob, le très prolixe Guillaume Postel parlait de la même façon d'une certaine mort, ni matériellle ni définitive, mais allégorique : "Chapitre XXXI. Qu'il falloit qu'il souffrist double mort la plus estrange et excellente ou exquise en tourment qui onc au monde fut, ne qui jamais sera. (
) Voluntairement, et non pas nécessairement mourir, c'est le rapt ou l'ecstase, qui par force voluntaire d'eslever le cur, ou pour dire mieulx la mente, l'esprit, l'anime et l'âme à contempler prier et glorifier Dieu, se faict en tele sorte et par tele douleur que le corps demeurant du tout comme mort, soufrant d'estre taillé,
rompu, brisé et bruslé sans aulchune douleur, jusques à ce que l'âme, anime, esprit et mente retournant au corps, luy faict sentir les douleurs qu'alors qu'elles se faisoient ne se sentoient." (Thrésor des Prophéties de l'Univers, p. 149).
Dostoïevski, lui-même épileptique, avait parfaitement reconnu cette sémiologie machometique : "Vous tous les biens portant, vous ne pouvez même pas soupçonner ce qu'est le bonheur, celui que, nous autres épileptiques, nous éprouvons une seconde avant la crise. Mahomet affirme dans son Coran qu'il a vu le Paradis et qu'il y a été. Tous ces imbéciles intelligents sont convaincus qu'il est tout simplement un menteur et un charlatan. Mais non, il ne ment pas. Il a réellement été au Paradis pendant une crise d'épilepsie : il avait cette maladie comme moi. Je ne sais si cette félicité dure des heures, des secondes, ou des mois, mais croyez-moi, toutes les joies que la vie peut donner, je ne la donnerais pas pour les avoir." avait déclaré l'auteur des Possédés
à Sophia Kovalevska qui rédigea ses Mémoires, où l'on trouve encore cette appréciation : "Etait-ce d'un instant comme celui-là dont l'épileptique Mahomet parlait lorsqu'il disait avoir visité les demeures d'Allah en moins de temps que sa cruche pleine d'eau n'en avait mis à se vider...".
Certains auteurs pensent que Dostoïevski a fait une allusion concernant la sourate XVII (Temkin, 1971), décrivant un voyage nocturne, comme s'il s'agissait d'une éclipse mentale, dont la nature serait alors celle d'une hallucination, d'un état de rêve épileptique selon la sémiologie jacksonienne.
Mais Dostoïevski aboutit à une interprétation et à une conclusion radicalement opposée à celle que tous les commentateurs profanes font sur le thème de la mort (et du "meurtre") dans les Centuries : "Et tout à coup les hommes ont compris qu'ils sont restés complètement seuls (
). Les hommes devenus orphelins se serreraient aussitôt les uns contre les autres, plus étroitement et plus affectueusement ; ils se prendraient les mains, comprenant que désormais ils sont tout les uns pour les autres. Alors disparaîtrait la grande idée d'immortalité, et il faudrait la remplacer ; tout ce grand excès d'amour pour celui qui était l'immortalité se détournerait sur la nature, le monde, les hommes, chaque
brin d'herbe. Ils s'éprendraient de la terre et de la vie irrésistiblement (
) d'un amour particulier, qui ne serait plus celui d'autrefois. Ils remarqueraient et découvriraient dans la nature des phénomènes et des mystères jusque-là insoupçonnés, car ils la regarderaient d'un il nouveau, d'un regard d'amoureux pour sa bien-aimée. Ils s'éveilleraient et se hâteraient de s'embrasser les uns les autres, se dépêcheraient d'aimer, sachant que leurs jours sont éphémères et que c'est tout ce qui leur reste. Ils travailleraient les uns pour les autres, et chacun donnerait tout à tous et par là seraient heureux (
). Que demain soit mon dernier jour, se dirait chacun en regardant le soleil couchant ; je mourrai, mais
peu importe : ils resteront, tous et après eux leurs enfants, et cette pensée qu'ils resteront en continuant à s'aimer et à trembler les uns pour les autres remplacerait l'idée de la rencontre d'outre-tombe". (Dostoïevski, L'Adolescent ; cité dans Grjebine, 1994)
Car la mort terrestre qui n'est pas matériellement définitive pour l'épileptique "ressuscité" sur Terre, n'ayant pas encore ou déjà mérité la "seconde mort" figure plutôt une opportunité de renaissance spirituelle pour l'aspirant céleste : c'est celle du réprouvé dans son Enfer (XXIV, 97-120) :
INFERNO ~ Canto XXIV ~ (v. 97-120) |
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97 |
Ed ecco a un ch'era da nostra proda, s'avventò un serpente che 'l trafisse là dove 'l collo a le spalle s'annoda. |
100 |
Né O sì tosto mai né I si scrisse, com' el s'accese e arse, e cener tutto convenne che cascando divenisse ; |
103 |
e poi che fu a terra sì distrutto, la polver si raccolse per sé stessa e 'n quel medesmo ritornò di butto. |
106 |
Così per li gran savi si confessa che la fenice more e poi rinasce, quando al cinquecentesimo anno appressa ; |
109 |
erba né biado in sua vita non pasce, ma sol dincenso lagrime e damomo, e nardo e mirra son lultime fasce. |
112 |
E qual è quel che cade, e non sa como, per forza di demon cha terra il tira, o daltra oppilazion che lega lomo, |
115 |
quando si leva, che ntorno si mira tutto smarrito de la grande angoscia chelli ha sofferta, e guardando sospira : |
118 |
tal era 'l peccator levato poscia. Oh potenza di Dio, quant' è severa, che cotai colpi per vendetta croscia ! |
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Ce n'est certainement pas au hasard que Dante réunit à la suite ces trois symboles que sont le serpent, l'épileptique et le phénix : on peut les interpréter comme des symboles de renaissance après une visite passagère dans le monde des morts : c'est-à-dire l'enfer.
le serpent (attribut médical et biblique) par sa morsure, guérit le pécheur de ses fautes, comme le serpent brûlant de l'Ancien Testament : "L`Éternel dit à Moïse: Fais-toi un serpent brûlant (latin : serpenteum aenum, grec : οφιν ; hébreu : saraf ; en égyptien, flamme : ns, vipère à corne : jt) et place-le sur une perche (latin : pro signo, grec : επι σημειου, hébreu : nes [étendard, signal, cf. Isaïe, 11-12]) ; quiconque aura été mordu, et le regardera, conservera la vie. Moïse fit un serpent d`airain, et le plaça sur une perche
; et quiconque avait été mordu par un serpent, et regardait le serpent d`airain (latin : serpenteum aenum, grec : οφιν τον χαλκουν [de χαλκος : bronze, airain, cuivre], hébreu : nachash [serpent] nechosheth [cuivre]), conservait la vie" (Nombres, XXI, 8-9) ;
l'épileptique, dans son coma passager (un malade en état de mort apparente, caduque) "guérit" après la crise, laquelle avait depuis longtemps une connotation infernale, attestée chez les Babyloniens (Stol, 1993) et les Egyptiens qui désignaient cette maladie des enfants (ben encore en hébreu) par le mot nsjt (nsyt, Schneble, 1987), résumant l'action un démon (Halioua, 2002), dans lequel figurent le signe F20 : la langue d'un serpent [7], et le signe A14 : un homme tombé (latin caducus), du sang coulant (grec φοινιος) de la tête ;
le phénix parce qu'à peine mort d'une chute sanglante, il renaît de ses cendres (i.e. des flammes, donc de l'enfer).
En conséquence, on ne verrait pas pourquoi seul Dante serait autorisé à réunir ensemble, dans l'espace serré d'une vingtaine de lignes, cette triple renaissance symbolique : le phénix, l'épilepsie et le serpent, et pourquoi on refuserait à Nostredame probable lecteur de la Commedia même s'il l'on veut ignorer l'inscription de Turin la même association allégorique, qui ne s'explique nullement par l'intervention d'inestimables faussaires (i.e. ineptos criticos).
On remarquera que phénix se disait benu en égyptien pharaonique, et l'épilepsie bennu en babylonien. Or le mot sémitique ben signifie fils, enfant : est-ce parce que comme un phénix le père renaît dans le fils, comme l'épileptique semble renaître (se rétablir) d'une maladie récurrente [8], d'une "attaque" (celle d'un serpent ?) pendant laquelle on le croyait mort ? En outre, le mot hébreu בן ben est une apocope phonétique de בנו b.nu verbe signifiant à l'impératif construire, reconstruire, établir, rétablir. De plus d'un système alphabétique à un autre,
ce mot בן ben peut aussi se translittérer ven (un aïeul du coté paternel de Nostredame s'appellait Venguesson, i.e. Ben Gasson), prononcé ben par les espagnols, mais fen par les allemands, alors que φεν se lit toujours fen par les latins quand les grecs (démunis de la lettre v) devant βεν aujourd'hui prononceraient ven ? Ce problème phonétique vient-il de la lecture par des étrangers de l'alphabet hébreu [9] qui possède des lettres communes pour b et v (ב) , p et f (פ), au signe diacritique près (le daguech, petit point placé au
milieu d'une lettre). En outre, dans l'Ancien Testament on trouve aussi une déclinaison de ben ( הוּא ) signifiant mourir : "Omnibus enim diebus quibus filius Isai vixerit super terram, non stabilieris tu neque regnum tuum. Itaque jam nunc mitte, et adduc eum ad me, quia filius mortis est" : "Aussi longtemps que le fils de Jessé vivra sur la terre, tu ne seras pas en sécurité ni ta royauté. Maintenant, fais-le chercher et amène le moi, car il est passible de mort." (1 Samuel, 20-31).
La particularité des textes nostradamiens est de réunir plusieurs sources spirituelles très différentes, et probablement contradictoires aux yeux de nombreux lecteurs astrophiles, lesquels n'arrivent toujours pas à s'expliquer nombre de ses incohérences lexicales. Mais Nostradamus, d'origine juive mais converti au christianisme, n'était pas l'homme d'une obédience particulière, ni l'adepte d'une seule confession, mais probablement d'un seul Dieu aux visages multiples, un Dieu unique et néanmoins commun à tous, comme plus tard celui de Spinoza : Deus sive natura.
Ces visages multiples d'un unique Dieu unique sont ceux qu'Apulée reconnaissait déjà : "Car les Phrygiens m'appelent la mère des dieux : les Atheniens, Minerve : les Cypriens, Venus, les Candians, Diane : les Sicilens, Proferpine : les Eleufins, Ceres : aucuns Iuno : les autres Bellone, puis Hecate, & principalement les Ethiopiens, qui habitent au Soleil leuant, & les Egyptiens qui font excellens en toute doctrine ancienne, & qui par propres cerimonies ont de coutume de m'adorer, m'appelent la Royne Ifis." (Apulée, La Métamorphose, XI, 2 ; éd. 1553, p.388).
Et même, des visages multiples parfaitement reconnus au moment ou Nostredame rédigeait ses Prophéties : "Strabo, au liure quatorziéme de fa defcription du monde, recite, que en l'ifle d'Icarie eftoit le temple de Diane, nommé ταυροπολομ. Et Tite-Liue, au quatriéme liure de la cinquiéme decade nomme le dict temple Tauropolum : & les facrifices qui fe faisoyent à Diane, Tauropolia. Toutefois Dionyfius en fon liure, De fitu orbis dit, que, Diane n'a pas efté nommée Tauropola du peuple, mais pour le taureau, eftant la region abondante de ces taureaux, à laquelle prefidoit la Deeffe, et de là furnommée Taurique ( ). Les Anciens la nommerent Mere des Dieux, pource qu'à la femblance d'vne mere elle produit & nourrit toutes chofes. Et cõme mere de la Terre (ce dit Phurnutus) les Romains & les Grecs luy attribuerent plufieurs puiffances, & la nommerent de plufieurs noms, vne fois Sybele, Ceres, la Terre, Proferpine : d'autrefois mere des beftes (& tout ainfi la nomme Lucrece) Vefta, & Diane. ( ) Et Virgile nous a donné à entendre qu'elle eftoit Lune au Ciel, Diane fus terre, & Proferpine aux enfers, quand il a dit, Tergeminamque Hecatem tria virginis ora Diana. ( ) cõme nous lifons en Athenaeus, eftimants que Hecate, Diane, la Lune & Proferpine eftoyent vne mefme chofe." (Du Choul, 1556, p. 84-90-93).
Au terme de cette trop brève démonstration, éclairant l'enfer nostradamien d'une lumière dantesque inédite, alors comprendra-t-on peut-être mieux, aidé d'un avertissement machometique de la première centurie (Lors blancs & rouges iugeront à l'enuers) le dernier vers de Nostredame (cité in Chevignard, 1999, p. 190) :
in Logodaedalia, le 10 Décembre 2003.
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