LOGODÆDALIA

Clinique d’une comitiale agitation Hiraclienne

© Dr. Lucien de Luca

Contact : logodaedalia@wanadoo.fr


Edition de Septembre 2001

EXTRAITS

La dyslexie

La comitiale agitation

Le phénix

L'énigme logique

Le syndrome de Janus

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Dans l'hypothèse où le lecteur a priori douterait de la pertinence des propos suivants, faire un détour par ici.

La dyslexie  (Pour consulter les notes complémentaires, cliquer ici)

(Extrait du Chapitre XII, Œdipe, Fils aveugle)

III-55:            En l’an qu’un oeil en France regnera,
                       La court fera à vn bien fafcheux trouble:
                       Le grand de Bloys fon ami tuera:
                       Le regne mis en mal & doute double.  

(1557 : qu’vn/ amy/ doubte).

L’histoire compte des borgnes célèbres, dont parmi les plus grands guerriers, Hannibal et Philippe de Macédoine. D’autres borgnes, les Cyclopes de la mythologie, des Géants pourvus d’un œil unique, parfois pasteurs anthropophages, étaient aussi les assistants d’Héphaïstos – dieu grec du Feu assimilé au romain Vulcain, boiteux et borgne lui aussi [1] – et qui avaient fabriqué la foudre à l’usage de Zeus.

Court ou cour peuvent être orthographiés de ces deux façons en gardant la même acception (à l’origine de courtois et de courtisan). La court désignait le prince entouré de ses vassaux, une assemblée réunie autour d’un chef, d’une tête qui ferait un bien trouble à un fâcheux, un grand nerveux, fatigué, lassé, irritable (GK).

Au XVIe siècle, Blois est une résidence royale, avec sa cour. Mais ce grand de Bloys partage-t-il le règne du Roy chreftien du monde… mourant en terre blefique en IV-77, ou celui du roy de Bloys régnant dans Auignon en VIII-52 ? Depuis le Moyen Age, était bloi (blo, blave) le blond, le pâle, le bleu, et bloe la Grande Bretagne britannique. Mais Blois (du latin Blaesae, Blesae) est autant le nom de la ville ligérienne entre Orléans et Tours, qu’un bègue balbutiant (blaesus, balbus en latin ; Biville, 1998, p.78), avec la langue qui fourche, comme dénué de sens intelligible [2], avec l’éloquence du lefé en II-80, aussi barbare [3] que taciturne, peu bavard [4] (du latin blatero, babiller, blatérer, coasser ; BSC, DMD, EMA, Greimas, 1994), dysarthrique comme l’enfant dyslexique – ψελλος [5] – des Hieroglyphica Hiracliens :

Comment taciturnité
Signifier voulant tayre ou silence
Qui est l’effect de taciturnité
Ilz escripvoyent ung nombre en aparence
Mil quatre centz et quinze bien compté
Qui est le terme sens rien soy mescompter
D’ans troys complis constitués au sens
Supputant l’an nombre de jours troys centz
Soixante et cinq que l’enfant son langaige
Vient prononcer car devand de ce temps
Sa langue n’a de parler bon usaige.

La lecture de cet épigramme, comparé à ses sources [6], pourrait faire croire que son auteur ne savait pas compter, ou qu’il était atteint de confusion mentale : ainsi trois fois 365 feraient 1415, bien comptés, on croit rêver… Mais en réalité, c’est une chose que calculer, c’en est une autre que conter, pour passer de l’un à l’autre il ne suffit pas de savoir lire, il faut aussi imaginer.

Dans la langue grecque, quatre cents pouvait s’écrire tetra-kosioi, très proche phonétiquement de tetra-eikosi, quatre-vingts. Et les diphtongues -oi et ei- prononcées comme un i (Lejeune, 1987) par iotacisme faisaient dire kosi et ikosi, cette similitude phonatoire ferait qu’un enfant de trois ans n’aurait alors pu articuler distinctement les deux nombres (Jakobson, 1969, Van Hout & Seron, 1983). Comme trois années solaires de 365,25 jours font exactement 1095 (mille nonante cinq, alpha koppa epsilon [7]) jours entiers, une diction enfantine imparfaite aurait pu faire dire plus facilement, et comprendre aussi (pour nonante) quatre cents (tetra-kosioi) au lieu de quatre-vingts (tetra-eikosi). D’autres langues que le grec offraient les mêmes pièges phonologiques, ainsi en égyptien pharaonique la numération orale faisait dire khémet pour trois, khém pour quarante, khémen pour huit, mais khéman pour quatre-vingts, tandis qu’en hébreu on a šmonah pour huit, šmonym pour quatre-vingts, et pour les mêmes nombres en arabe tamāny et tamānūna (Ifrah, 1994). Ajoutées aux conventions de position utilisées dans le calcul décimal (88 n’est pas 428), et aux changements de base (qui par exemple, font de quinze-vingts l’égal de trois cents, ou de onze cents l’égal de mil cent, différent de cent mille), ces difficultés phonologiques ne sont résolues, dans le meilleur des cas, qu’après l’enfance (du latin infantia, incapacité de parler, de for, fari, parler ; EMA).

Ces subtilités de prononciation d’une langue morte, certains hellénistes ne les dédaignaient pas jadis, et à la suite de quelques précédents auteurs, depuis 1529 Erasme [8] les avait soumis à la curiosité de ses lecteurs assidus. L’usage pédiatrique qu’en aurait fait quinze ans plus tard le précepteur du futur César, instruit du rotterdamien De pueris, nous semble assez pertinent et digne d’une observation historique de neuro-psychologie.

L’enfant dyslexique – ce cas est le plus ancien connu dans la littérature – est aussi un enfant trouué, expofé dans les eaux du Nil, un Hébreu appelé Moïse, lésé d’éloquence, à qui l’Ancien Testament fait dire : « Ma bouche est inhabile et ma langue pesante [9]» (Exode, 4-10). Dans la Vulgate, on lisait à cet endroit : « impeditoris et tardioris linguae sum » (par le latin impedio, entraver, envelopper les pieds, embarrasser, et tardus, lent, traînant, lambin, quasi lymphatique), ce serait un programme acceptable pour le grec Œdipe, à la langue près.


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La comitiale agitation

(Extrait du Chapitre V, Comitiale agitation Hiraclienne : Nostra Epilepsy)


Comitiale vient du mot latin comitia, désignant l’assemblée du peuple romain allant voter, et le comitialis morbus désignait l’épilepsie (du grec επιληψια, interruption, arrêt soudain ; BSC), fort bien connue du confiseur de Salon [10]. Les comices étaient interrompues si quelqu’un tombait d’épilepsie, considérée de mauvais augure pour la poursuite de la réunion. Plus qu’une banale disposition à la poésie, la comitiale agitation est donc une authentique épilepsie, avec ses signes psycho-moteurs d’agitation, et aussi une connotation pessimiste accordée à ce trouble mystérieux depuis l’antiquité romaine, et bien avant. Mais pourquoi Hiraclienne ?

Pour la signification de cet adjectif, plusieurs hypothèses peuvent être avancées. L’une incline vers le choix du dieu Héraklès (Ηρακλης en grec, la gloire d’Héra, l’épouse de Zeus, avec κλεος, la renommée, ou kleis, porte, détroit, verrou, clef ; BSC), et sa déclinaison herculéenne, héracléenne. De même que dans l’édition de 1555 on trouve en II-69 Hirarchie au lieu de Hierarchie, on trouvera Hiraclien au lieu de héracléen.

Comme `Ieron (Hieron [11] le lieu Sacré à l’embouchure du Bosphore), devient `Irè (Hirè la ville Sainte), le préfixe Hira [12] confère une origine sacrée ou divine à la comitiale agitation, qui serait également ‑clienne, cachée (du grec κλεις, cf. supra). Hiraclienne est donc l’adjectif redondant d’une ire (du latin ira, fureur, par le grec ιερος, vif ; EMA) à clef, la maladie sacrée (iera nosos, avec ιερα décliné poétiquement en ιρα, auguste, fort, sacré, saint ; BSC), une épilepsie.

Un élément supplémentaire autorisant le rapprochement d’Hiraclien avec Héraclès viendrait du deuxième sens de ce dernier mot, attribué lui aussi à l’épilepsie (BSC). Et nous voyons dans cette expression “comitiale agitation Hiraclienne, plus qu’un simple hasard, mais une volonté de souligner par une triple répétition que cette agitation, que cette ire est bien le moteur de l’inspiration prophétique, qu’elle est son « naturel inftinct, accompagné [13] d’vne fureur poétique …». Le lecteur pourra remarquer ici une très belle correspondance avec le précédent trépied, où la fureur poétique est une ire (cf. grec poïesis, création, naissance) d’un instinct accompagné (du latin comitatus, quasi comitialis, de comitis, le compagnon, avec -itis, de eo, ire, la marche, le voyage, le chemin, l’issue, etc ; EMA), un écho symétrique de sa comitiale agitation Hiraclienne.

Enfin cette ire poétique ne pourrait faire oublier Clio, Kleiô la plus Hiraclienne des neuf Muses, la fille de Mnémosyné et de Zeus, toute consacrée aux Héros et à l’Histoire ; Hiera Kleiô ou Ira Clio, comme l’on voudra… L’enchanteur de Salon pouvait-il oublier de faire un jeu de mots, lui qui reprochait aux ignorants dans ses Notes Hiéroglyphiques de ne savoir S’il faut qu’à nuict ou à Muse on s’amuse, non sans malice ?

De cette façon, Hiraclienne devient le superlatif sacré, aussi divin que poétique, de héracléen, ce dernier adjectif d’un demi-dieu mortel ne serait que trop vulgaire, bouffi de brutalité et de grossièreté. Cette épilepsie créatrice serait-elle donc pour le poète de Salon un cadeau des Dieux, permettant de voir dans l’Histoire des choses cachées que la froide intelligence ne pourrait comprendre et déduire à partir de la raison tranquille et de la logique raisonnable ?

Du singulier et majestueux adjectif Hiraclien, nous en avons rapproché un semblable, trouvé dans la nostradamienne Interprétation des hiéroglyphes de Horapollo (Rollet, 1968 ; p. 96) :

Comment ilz signifioient la maladie
Quant ilz vouloient démonstrer maladie
Ilz faisoient paingdre la fleur pernicieuse
Du blanc pavot ou du noir quoy qu’on die
Qui tient couleur aux incogneus paoureuse
Le blanc l’a presque toute cadavereuse
L’héraclien trop jaunastre en couleur,
Le rouge ung peu se monstre sanguineuse
Et toutz les quatre ne monstrent que douleur.

Il ne serait pas inutile de digresser brièvement sur ce petit épigramme. Car la fleur du pavot, paoureuse pour l’apothicaire, et son suc méconial engendrerait aussi la paour [14] (paor, peor, du latin pavor ; Greimas, 1994), la peur, la crainte. Le pavot jaune, appelé glaucium ou pavot cornu, pousse près des rivages marins sablonneux (du grec amathos, èmathoeis, & ammos, sable ; cf. V-88). Ce pavot maritime, jaune et cornu, est dit ici héraclien [15], comme Xanthias serait Héraklès-Xanthias (BSC), martial aux cheveux blonds dorés [16] semant la terreur. L’aigremoine (argemônè en grec) avec ses fleurs jaunes et ses fruits hérissés de crochets est aussi une variété de pavot qui pourrait convenir à la description de ces difficultés (argaléos) et taches (argema) de couleurs acrimonieuses. Donc la peur, la crainte, la jaunisse et la maladie embellissent cet épithète héraclien, et envahissent le faciès des couleurs de l’effroi, autant qu’en I-2 la peur et la voix frémissante s’accordent à une comitiale agitation Hiraclienne.

(Extrait du Chapitre VI, Hiraclienne : une Ire à Clef)

Si l’on demandait à un neuro-psychiatre, intéressé par les troubles du langage, de faire l’autopsie de Nostredame sans avoir lu ce qui précède, quelle constatations pourrait-il faire sur la base de sa production littéraire ? Ces constatations seraient bien sûr parcellaires, approximatives et limitées, car il ne pourrait interroger son patient pour juger de la qualité de son discours, spontané ou provoqué, ni faire aucun examen complémentaire ; en plus d’une simple lecture si peu parlante, il devrait encore s’obliger à écouter les visions issues de ses paroxysmes poétiques.

Le clinicien observerait d’abord, comme nous avons déjà tenté de l’illustrer, que le discours nostradamien est remarquable par la fréquence de ses déviances linguistiques, de son jargon, de ses paraphrases obscures, de ses néologismes boiteux, de ses substitutions phonétiques (paraphasiques) et de ses fautes syntaxiques. Paraphasie et jargonaphasie sont des termes médicaux faisant partie d’un ensemble de symptômes généralement appelé aphasie (a privatif, du grec phasis, parole, discours, bruit, rumeur, fleuve ; BSC) désignant certains troubles neurologiques des fonctions symboliques affectant l’expression et la compréhension du langage, à des degrés divers, le plus souvent en rapport avec une lésion déficitaire du cortex cérébral gauche, mais parfois rencontrés dans un contexte épileptique (Serafetinides, 1963, Murchison, 1995, Billard, 1996, Billingsley, 2001). De même qu’il existe plusieurs catégories d’aphasies (Botez, 1987, Sabouraud, 1995), de même avons-nous aussi plusieurs sortes de paraphasies.

Rapportées au corpus lexical nostradamien, les paraphasies verbales seraient des périphrases totalement inédites comme :

l’oeil de Ravenne en I-6,
Faulx à l’eftang en I-16,
Castor Pollux en nef en II-15,
lac Fucin de Benac en II-73,
Panta choina Philon en IV-32,
Martial quirinal flaminique en V-77,
les ifles de cinq fleuves à un en VI-7,
Capricorne mince en VI-15,
grand Chyren selin en VI-27,
la dame Grecque de beauté laydique en IX-78,
Pol MANSOL en IX-85 et X-29,

Les paraphasies littérales consisteraient en l’usage d’anagrammes, de contrepèteries ou d’élisions, comme probablement :

Pfelyn en I-42 (pour Pfellos felyn ?),
Rocheval en I-77,
Kappa, Thita, Lambda en I-81,
port de l’Orguion en II-73,
Orl.Rouan en IV-61,
l’Estore en IV-72,
le contre RAYPOZ en IX-44,
pont de Laigne en X-48.

Le jargon Hiraclien, plus dysphasique qu’aphasique (au sens étymologique) serait illustré par des néologismes, des barbarismes, latinismes ou hellénismes comme :

Corfibonne en IX-54,
Tridental en V-62,
vulcanal en V-77,
Ponterofo en VIII-49,
Anglaquitaine et Barboxitaine en IX-6,
Chanignon en IX-41,
herbipolique en X-13,
Adaluncatif en X-96.

Enfin, il ne faut pas négliger l’importance des homophonies, associées le plus souvent à une dysgraphie, appréciée ici comme l’équivalent dyslexique d’une dysphasie épileptique. Dans l’histoire de l’écriture en général, les homophonies les plus simples auraient été le point de départ de la formation de l’alphabet, sur une base picturale idéographique, et auraient permis dès l’époque pharaonique la création de calembours ésotériques et sacrés. Certaines déformations graphiques des Centuries sont parfois des erreurs typographiques, mais parmi d’autres nous avons retenu ces quelques dysgraphies d’ordre paraphasique  :

l’Angon en I-90 versus Langon,
Gyronde en V-34 versus Gironde,
Mont-Senis en V-61 versus Mont-Cenis,
d’Annemarc en IX-33 versus Danemark,
d’Almatie en IX-60 versus Dalmatie,
Sonne en IX-68 versus Sâone,
Mirandole en VII-4, versus une chimère de Mirande-Mérindol
Narbon en I-99, III-92, IX-34-63-64, versus Narbonne,

Ici l’erreur consisterait à vouloir corriger à tout prix l’élément dysgraphique par une version prétendue correcte, mais de signification toute différente.

Bien sûr, cette comparaison a ses limites, et la glose d’un texte post-médiéval ne prétend pas se substituer à un examen clinique réalisé par un neuro-psychologue spécialisé en aphasiologie. Néammoins, d’aucuns parmi les professeurs en littérature, même parmi les meilleurs Humanistes du XVIe siècle, ont trouvé le discours nostradamien totalement incompréhensible. Ceux-là ignoraient probablement que des médecins pouvaient en entendre de semblables parmi des aphasiques ou des schizophrènes. Le lecteur, aussi bon latiniste qu’il soit, devant les Centuries devient lui-même subitement comme l’un des célèbres malades de Luria, atteint d’une aphasie par lésion traumatique du cortex cérébral occipito-pariéto-temporal gauche, lui interdisant en particulier de réorganiser ses souvenirs dans un ensemble cohérent et communicatif : « Il voit bien, comme avant, des éléments fractionnés, mais il se trouve dans l’incapacité de les assembler pour créer l’image entière d’un objet ; il est donc contraint de deviner le sens à partir de ces éléments fractionnés qu’il perçoit, à l’instar d’un savant qui déchiffre l’ancienne écriture cunéiforme des Assyriens, devine le sens de chaque signe séparé. Celui qui souffre de pareille atrophie va regarder l’image d’une paire de lunettes. Il va se demander ce que c’est : un rond… encore un rond… une courbe… et une barre. Ne serait-ce pas un vélo ? » (Luria, 1995).
Plus importante, dans les Centuries comme dans le monde éclaté du patient de Luria, est encore la fréquence de la dyssyntaxie, par l’utilisation de constructions grammaticales exotiques où l’on ne peut identifier – avec certitude ni en français, ni même en grec [17] – le sujet ou le complément du verbe. Ainsi – devant Le lyon ieune le vieux furmontera de I-35 on ne saurait dire avec certitude qui du vieux ou du jeune surmontera l’autre, laissant supposer qu’il y aurait deux lyons opposés, alors que nulle part dans les Centuries on ne trouve de vieux lyon, mais un vieux monarque dechaffé en III-47, un vieux Cardinal par le ieufne deceu en VIII-68, un vieux ange baiffer en VIII-69 [18], et même un vieux teccon en IX-27, c’est à dire un nouueau vieux en III-72, un neuf vieux efleue en X-69.

Ces exemples suffiront pour l’instant ; une classification exhaustive serait trop complexe et fastidieuse, et sortirait du cadre limité de cet ouvrage, d’autant plus qu’il faudrait y ajouter le fait que la culture littéraire du poète avait une base d’expression polyglotte : il pensait aussi bien en latin qu’en grec, qui-sait aussi un peu en hébreux, mais écrivait en français, et parfois dans la langue de son terroir natal, le provençal. Ensuite, son français est issu de la Renaissance, auquel s’ajoutent de nombreux éléments tantôt néologiques tantôt médiévaux, dont pour nous aujourd’hui la compréhension n’est pas immédiate et naturelle ; tous ces styles littéraires renforcent la dyssyntaxie gravée dans l’efcriture D.M. du scribe Hiraclien.

Et soulignons sans plus tarder la différence essentielle qu’il existe entre les troubles neurologiques aphasiques et les figures littéraires de la rhétorique : les premiers sont involontaires, déficitaires, et parfois ignorés du sujet (anosognosie), en général inscrits dans le contexte d’un handicap organique, tandis que l’expression poétique est consciente, recherchée et cultivée (Cohen, 1966), et n’a pas obligatoirement de support lésionnel ou anatomo-pathologique.

On pourrait presque dire que Nostredame plonge son lecteur dans une relation dysphasique : le lecteur aurait une compréhension plus que troublée des expressions troublantes de l’auteur. C’est le principal enseignement que nous pourrions provisoirement tirer de cette digression sur la dysphasie nostradamienne : elle nous met dans la situation comparable à celle où nous serions face à un familier devenu étrangement sourd-muet, et que chacun tente depuis cinq siècles tantôt de déchiffrer, tantôt de dénier. A la suite de notre fastidieuse enquête lexicale, le lecteur aura-t-il  une idée personnelle de la catégorie dans laquelle on pourrait entendre la communication Hiraclienne : dysphasie neuro-psychiatrique ou rhétorique poétique ?

Mais si « l’entendement créé intellectuellement ne peult voyr occultement », nous pourrions répondre que “les visions occultes” ne peuvent être entendues intelligemment [19]. En d’autres termes, pour communiquer avec un aphasique, il faut essayer de se mettre à sa place, d’imaginer ses émotions, de développer des modes de communication non strictement (correctement) verbaux, de lire entre les lignes ou dans les images de sa bande dessinée, comme le lecteur d’Horapollon le fit lui-même devant les textes mythologiques ou sacrés. Et, de nous poser cette curieuse question, si nous ne comprenons pas bien le langage nostradamien, que comprenait-il donc lui-même ; cette littérature exprime-elle quelque chose en adéquation avec la pensée de leur auteur, ou bien n’est-ce que la façade d’une expression schizophrénique ?

Poursuivant ses investigations notre clinicien verrait alors que les thèmes abordés les plus fréquement sont assez morbides (la mort, le sang, les inondations, les famines, la peste), souvent mystiques, hermétiques, cosmiques, confinant sans l’atteindre totalement au délire de persécution. Il pourrait évoquer aussi des troubles des fonctions mnésiques : impression de déjà vu, perte de la mémoire à court terme, rabâchage… Bref, pourquoi pas un malade mental, atteint de folie douce, un hystérique ou un camelot de Satan.

Si ce neuro-psychiatre, de préférence encore jeune étudiant et inexpérimenté mais curieux, consultait la littérature de ses anciens maîtres avant de rendre un diagnostic, celle-ci lui dirait peut-être que les troubles du langage constatés pourraient avoir un support anatomo-pathologique, qu’ils évoqueraient davantage une aphasie de Wernicke (par déficit du lobe temporal gauche) qu’une aphasie de Broca (par lésion du lobe frontal gauche), que d’ailleurs l’existence de troubles de la mémoire (fausses réminiscences, déjà‑vu…) orienterait plus vers un déficit du lobe temporal que du lobe frontal, et que le type d’aphasie considéré serait celui d’un trouble des fonctions symboliques où l’inhibition fait défaut : l’expression du poète n’est pas pauvre, elle est riche, prolixe, imagée.

Car l’aspect déficitaire de la communication entre Nostredame et ses lecteurs pourrait n’être qu’un leurre destiné à tromper une vigilance cartésienne. Le discours nostradamien serait-il alors moins dû au sous-emploi de son cortex associatif temporal gauche qu’à une éxagération furieuse de son expression frontale droite ? Comme un hypnothérapeute alto-palien avec ses patients léthargiques, mal-voyants ou mal-entendants, son cerveau droit aurait ainsi participé à l’élaboration de métaphores harmoniques, exprimées dans le double langage du changement, des expressions figuratives, des calembours ambigus et des aphorismes pardoxaux, qui paralysent et court-circuitent le raisonnement séquentiel de l’hémisphère gauche (Watzlawick, 1980). Car les rébus et les calembours véhiculeraient des valeurs ajoutées, idéographiques et acouphèniques, particulièrement bien admises dans l’hémisphère droit.

On sait aussi que l’hémisphère droit est capable de reconnaître (d’identifier, de distinguer) des mots ou des suites de mots écrits, appartenants à la catégorie des objets (plus que des verbes, ou des phrases), mais que la discrimination est seulement approximative, et fait commettre des paralexies sémantiques (ainsi le mot hôpital fera-t-il comprendre médecin ou maladie). En outre, le cerveau des polyglottes présenterait une organisation atypique pour le langage, maternel à gauche, supplémentaire à droite, avec un transfert partiel des compétences linguistiques du cortex gauche vers le droit. L’interprétation de langues comme le chinois, comportant de nombreux homonymes distingués seulement par leurs intonations mélodiques et leurs traductions logographiques, ferait aussi intervenir l’hémisphère droit de manière plus importante que pour les langues syllabiques (Habib, 1983). On pourrait penser alors que les ressources du cerveau droit, en résonance avec l’harmonie indispensable à l’intelligence, autorisent davantage que prévu par son interprète gauche la compréhension de phrases à syntaxe permissive.


L’ENTENDEMENT AGITE
:

Des experts feraient en cliniciens prudents, avant de conclure hâtivement à une maladie mentale, des recherches plus minutieuses sur les conditions de vie de leur patient, à la recherche d’indices pouvant les orienter davantage ou confirmer leur doute.

Ils verraient ainsi que Nostredame s’adonnait à des pratiques nocturnes bizarres, pendant lesquelles ce somnanbule en proie à des manifestations épileptiformes prétendait voir l’avenir. Nos experts se souviendraient alors probablement que le seuil épileptogène est plus bas au cours de certaines phases du sommeil d’une part (Rajna, 1983, Shouse, 1996), et au niveau du lobe temporal d’autre part. Ils remarqueraient encore que les souvenirs de rêves, par leur contenu sémantique, peuvent simuler des symptômes décrits plus hauts : paraphasie et jargonophasie. Et encore que des situations particulières, parfois recherchées volontairement (Van Reeth, 1959, Guey, 1966), provoquent chez certains sujets des crises épileptiques, à l’occasion de stimulations lumineuses, auditives ou musicales, parfois intellectuelles au cours de la lecture, du jeu d’échec ou de scrabble, voire d’une pensée, que d’autres tombent dans un état de vigilance entre le rêve et l’éveil.

Arrivés à ce stade de l’expertise, notre clinicien chargé de l’autopsie de Nostredame, aura besoin du recours à des spécialistes des états modifiés de la conscience (Etevenon, 1987, Lapassade, 1987, Lemaire, 1993, Le Scanff, 1995), et selon les écrits de ces derniers, pourrait conclure qu’il est possible que l’auteur des Centuries ait eu accès à l’un de ces états modifiés, mais que rien pour l’instant ne permet d’affirmer que l’on puisse prédire l’avenir au cours de ces états dits modifiés, même si leur titulaire en est fermement convaincu.

LA COMITIALE AGITATION HIRACLIENNE :

La comitiale agitation ne serait rien de plus qu’une banale épilepsie, si elle n’était pas Hiraclienne dans la Préface, divine ou seline dans les quatrains, si le jaune et narcotique pavot n’était pas lui même heraclien, et si ce qui était jadis fumeux commençait à devenir maintenant plus clair. La meilleure candidate à cette comitiale agitation Hiraclienne, à cette fureur poétique, à cet entendement agité pourrait être une forme d’épilepsie temporale ou temporo-limbique, (ou encore psycho-motrice selon d’autres médecins), dont il existe plusieurs formes cliniques pouvant intéresser un médecin légiste. Temporale, pour le nom des structures cérébrales intéréssées (c’est à dire latérales, ni frontales ni occipitales) ; limbique (du latin limbus, ceinture) pour l’organisation des formations cérébrales para-médianes groupées en cercles concentriques ; ou psycho-motrice pour les manifestations psycho-émotives dont les structures précédentes sont les principales promotrices. Certaines de ces formes d’épilepsies ont été reconnues depuis peu comme des cas exemplaires, chez des écrivains incontestés comme Dostoïevski ou Kierkegaard, et ailleurs chez quelques mystiques comme Saint Paul ou Sainte Thérèse d’Avila (Alajouanine, 1963-73, Freemon, 1976, Landsborough, 1987, Hansen, 1988, Foote-Smith, 1991, Lemaire, 1992, Stol, 1993 – p.145, Vercelletto, 1994-97, 2000), et depuis bien plus longtemps dans quelques âmes conquérantes [20], par un clinicien oublié, mais jadis réputé, et ceci bien avant la première preuve scientifique.

Nous laisserons de coté la classification des épilepsies en tant que maladies, pour retenir celle de la sémiologie des crises épileptiques, et plus particulièrement de celles qui nous ont paru se rapprocher le mieux au cas décrit dans notre étude, à savoir le groupe des crises dites partielles complexes avec symptômes psychiques (Arzimanoglou, 1993, Franck, 1990). Avant de les comparer à la comitiale agitation Hiraclienne, on a distingué dans cette classification nosologique la sémiologie des crises dysmnésiques, des crises dysphasiques, des crises cognitives ou idéatoires, des crises affectives, et enfin des crises hallucinatoires.

Nous tenterons ensuite de savoir ce que ce type de crise épileptique aurait pu apporter, au moment d’une crise ou après, à l’hermétique bavard sur le plan de la cognition, qui est le processus de la pensée par lequel on acquiert une connaissance.

Les crises cognitives, idéatoires ou hallucinatoires :

Certaines crises sont caractérisées par la présence de ce qu’il est convenu d’appeler une pensée forcée, analogue à une sorte d’obsession invincible, et qui prendrait son origine dans une désorganisation du cortex frontal antérieur. Dans ce type d’épilepsie, les crises sont nocturnes et brèves, accompagnées d’automatismes sexuels et de vocalisations bizarres, quelquefois de gestes obscènes, et restent plus souvent que nécessaire confondues avec un diagnostic erroné d’hystérie. Nostredame lui-même ne souffrait-il pas d’obsession, occupant la plus grande partie de ses pensées ?

Dans d’autres cas où le cortex pariétal ou temporo-pariétal est intéressé, les malades sont victimes d’hallucinations, parfois auditives ou visuelles, parfois même posturales, percevant des voix ou des lumières, ou leur propre corps comme un double distinct d’eux-même, ce phénomène ayant été décrit par Féré dès 1891 (Vuillemier, 1997). Au cours de ces crises la représentation du corps dans l’espace est fortement perturbée dans les structures pariétales, simulant un vécu de voyage spatial, jadis par un rapt divin lorsque les histoires de soucoupes volantes étaient encore inconnues, et aujourd’hui par des extra-terrestres.

 Les crises dysphasiques :

Ce que nous pouvons retenir de la lecture des rapports médicaux sur ce sujet montre que les signes dysphasiques tels que ceux décrits plus haut, comme les paraphasies et la jargonaphasie, peuvent être rencontrées avant, pendant, ou après la survenue d’une crise épileptique, mais que leur étude est particulièrement difficile et délicate, même dans les conditions normales de l’exercice médical. Etudiant la production littéraire d’un épileptique, Alajouanine remarquait en 1973 que « des troubles du langage pouvaient exister dans cette période post-critique. Il écrit [Dostoïevski] : j’ai mis longtemps à pouvoir parler correctement ; ce n’était pas la conséquence d’une morsure de la langue, car il note ailleurs un trouble de l’écriture : En écrivant, je confonds encore les mots. » L’origine des troubles dysphasiques peut affecter la région frontale, comme la région temporo-pariétale de l’hémisphère cérébral dominant (en général, le gauche). Remarquons toutefois que si la neurophysiologie des dysphasies est en général déficitaire, comme à la suite d’une destruction du cortex cérébral (par infarctus, tumeur ou traumatisme), celle des crises épileptiques en général mélange les excès d’activité paroxystique et les déficits (Gloor, 1990), à la fois dans l’espace neurologique et dans le temps.

Et pour revenir très brièvement sur le cas de la dysphasie Hiraclienne que nous avons tenté d’exposer au début de ce chapître, nous avons ignoré avant d’en avoir discuté davantage si elle devait être considérée comme recherchée et cultivée car poétique, ou pathologique et déficitaire car épileptique, voire génétique (Gopnik, 1990, Pennington, 1991, Galaburda, 1993, Schachter, 1993). Eu égard à l’étymologie de ces termes médicaux, entendus généralement dans un sens plus déficitaire que littéraire, la description d’une dysphasie ou d’une dyslexie comitiale (et même Hiraclienne) est tout aussi pertinente que celle d’une aphasie ou d’une anomie comitiale (temporale et interictale ; Mayeux, 1980).

Les crises dysmnésiques et le rêve épileptique :

C’est en 1876 que le neurologue américain Jackson décrit pour la première fois un état de rêve survenant chez certains patients épileptiques souffrant  d’hallucinations, déjà reconnues au Xe siècle par Albucassis, médecin arabe de Cordoue (Penfield, 1963), et peut-être d’autres médecins du XVIe siècle les mieux informés [21]. Le vocable état de rêve provient de la traduction de l’américain dreamy state utilisé par Jackson, il eût été plus approprié de parler en français de rêve épileptique ou d’épilepsie onirique, mais par respect pour nos anciens maîtres nous devrions omettre désormais d’utiliser ces derniers termes.

Quoiqu’il en soit, chez ces malades épileptiques pouvant présenter un état de rêve, les manifestations cliniques les plus fréquentes et les moins contestées sont : des sensations paroxystiques de déjà-vu-déjà-vécu, des impressions de scènes familières passées ou futures, des sensations d’étrangeté, d’irréalité, de réminiscences, associées à d’autres signes paroxystiques concomittants comme des hallucinations, des sentiments d’angoisse ou de peur, et des automatismes gestuels. L’ensemble de ces crises se déroule de telle manière que les patients gardent conscience du caractère illusionnel ou hallucinatoire de leur vécu : comme si les rêves étaient mêlés aux pensées présentes, ce qui a fait parler ces auteurs, avec Jackson, de dédoublement de la conscience, ou de diplopie mentale. La diplopie est un trouble de la vision où le patient voit double, cette diplopie mentale est donc une sorte de double vue neuro-psychique, mais non de voyance parapsychique.

Par la suite de nombreux médecins et chirurgiens se sont intéressés à ces états de rêve épileptique. Voici ce que nous avons retenu parmi les meilleurs de leur lecture, en prenant garde de ne pas défigurer leurs pensées par des citations partielles trop tronquées : « Ces manifestations ne s’observent que chez des patients atteints d’une épilepsie temporale (…) qui intéresse à la fois les structures médianes (noyau amygdalien, formation hippocampique, gyrus para-hippocampique) et le néocortex temporal (…) ce sont essentiellement les stimulations des structures médianes (du lobe temporal) qui déclenchent les phénomènes psychiques dont il est question. [… Mais] la structure dont les neurones élaboreraient directement les expériences de déjà vu et de réminiscence en réponse à l’hyperactivation de leurs afférences issues du (lobe temporo-médian) serait le cortex associatif supramodalitaire temporal et temporo-pariéto-occipital (…). Ce qui détermine quelle catégorie d’expériences est évoquée n’est pas la situation de la (stimulation) dans l’amygdale, l’hippocampe ou le gyrus para-hippocampique, au niveau de l’hémisphère dominant ou non dominant, mais plutôt qui est stimulé, quels sont les traits de sa personnalité, et quelle est la situation inter-personnelle au moment de la stimulation (…). L’irruption de traces mnésiques et d’influences endogènes (…) entreraient en compétition avec la représentation du monde extérieur » (Brunet-Bourgin, 1984, Bancaud, 1987, Chauvel, Brunet-Bourgin & Halgren, 1989).

En résumé pour les plus novices, certaines structures à l’intérieur du cerveau, dans les profondeurs du lobe temporal, chargées de la mémoire et de l’affectivité (l’hippocampe et l’amygdale), une fois déstabilisées, viennent parfois déborder la relative tranquillité d’autres parties de la surface cérébrale, où se trouvent traitées les pensées les plus habituelles des gens bien portants, en particulier les zones corticales d’associations visuelles ou auditives, mais aussi du langage, de telle manière que le vécu des crises temporales diffèrerait d’un sujet à l’autre, selon sa culture et ses expériences antérieures.

Ce que nous pouvons en retenir pour servir à l’étude de notre de cujus :

– chez les malades il existe en général une absence d’adhésion aux hallucinations, qui sont critiquées, le contact avec la réalité et l’intelligence sont conservés. Le centurion de Salon lui, adhèrait à ses visions futuristes, à tort ou à raison, les croyait réellement possibles plus que réellement vécues, paraissant confondre le passé, le présent et le futur,

– le contenu du rêve épileptique dépend généralement de la personnalité du sujet, la notion de personnalité s’étendant des traits généraux du caractère (émotivité, sociabilité, etc.) au contenu de l’éducation (culture, religion, métier, etc.),

l’état de rêve de l’épilepsie temporale est un processus pathologique tout à fait remarquable, mais non exceptionnel de compétition (involontaire chez les malades) entre le monde imaginaire du rêve et celui de la conscience du monde réel. En général les malades souffrent de leur état, les crises épileptiques qu’ils subissent sont une gêne considérable dans leur vie, à tel point qu’ils sont obligés de consulter médecins et chirurgiens, et que bien souvent le traitement qui leur est proposé, parfois grévé de quelques effets secondaires, atténue leur souffrance sans la faire disparaître totalement,

– en ce qui concerne Nostredame, comme d’autres épileptiques avérés et célèbres, sa comitiale agitation Hiraclienne serait promotrice d’une situation extraordinaire, qu’il nommait lui-même esprit de prophétie, projetant dans l’avenir ce qu’il connaissait du présent et du passé, de son Histoire et de ses mythes. Si certains malades épileptiques souffrent d’un état de rêve et de remémorations expérientielles, selon ce modèle clinique et neuro-psychologique, le médecin facteur de tropes aurait bénéficié au contraire d’un “état de prophétie” fait de déjà-vu-jamais-vécu, de l’Avenir relu dans l’Histoire, revu et revécu.

HIRACLIENNE : plus exceptionnelle que vulgaire.

Est-ce pour autant que pouvons dire maintenant à la lumière de cet exposé qu’un entendement si peu intellectuel puisse voir occultement, au moyen de crises épileptiques temporales, pour paraphraser l’auteur des jours de César ? Certes non pas encore, puisque la comparaison des malades étudiés par Jackson et ses successeurs n’a pas précisémment révélé de prophète à notre connaissance. Il n’est pas prouvé que Nostredame souffrait effectivement de ce type particulier d’épilepsie temporale, alors qu’il nous laisse entendre qu’il jouissait bien d’une souffrance comitiale. Cette dernière nuance suffirait-elle à accéder à la qualité de prophète ? Rien ne le prouve ni ne le contredit, aussi la revue des épilepsies temporales en général, dont l’épilepsie onirique n’est qu’un cas particulier, permet-elle seulement d’approcher un cas littéraire et historique.

Sans développer ce sujet à outrance, une autre voie de recherche, encore assez peu documentée pour pouvoir y adhérer sans réserves (Persinger, 1993), serait celle des états épileptiformes auto-provoqués et auto-contrôlés, proches des états de méditation (Buser, 1998). Nous avons trouvé dans le texte des Centuries matière à établir une connexion entre les modifications de l’état de veille (au cours de la méditation ou de la prière) et l’apparition des signes épileptiformes (pendant l’état de rêve). Relisons les premières lignes des Centuries :

                        Eftant afsis de nuit fecret eftude,
                        Seul repoufé fus la selle d’aerain,
                        Flambe exigue fortant de folitude,

Cette description indique sans aucune ambiguité une situation d’isolement sensoriel entraînant conjointement une baisse du niveau de vigilance et un manque de sommeil : le lecteur des Hieroglyphica aurait envie de dormir, mais il ne le veut pas, il attend que “ça vienne”, et au besoin on imagine qu’il s’aide d’une petite lampe à huile pour le maintenir dans cette état, entre chien et loup, pour cultiver un certain usage poétique de l’anima. Et pour être dans les meilleures conditions de ce délire tant attendu et si prolifique, il va répéter tous les soirs ces continuelles vigilations nocturnes.

Or, nous savons qu’il existe entre l’épilepsie temporale en particulier et les troubles du sommeil en général une facilitation réciproque. Que le manque de sommeil favorise l’apparition des signes épileptiques, et que c’est précisémment au moment où un sommeil instable et désorganisé apparaît, que l’excitabilité du lobe temporal est la plus grande (Touchon, 1987, Shouse, 1996). Et nous avons bien l’impression que l’étonnant médecin de Salon avait réuni ces conditions quasi expérimentales, qu’elles sont bien décrites, et que la sémiologie contenue dans son œuvre littéraire emprunte celle des crises d’épilepsie temporo-limbique, au moins pour partie.

En résumé, suivant les circonstances propres à chaque crise et à chaque individu, des signes différents (dysphasiques, moteurs, dysmnésiques, affectifs, etc.) se mélangent en proportions diverses, avec une dominante plus ou moins nette. Mais surtout que l’on peut « définir, d’une certaine manière, l’épilepsie comme la création d’un système nouveau de connexions » (Bancaud, 1987), augmenté pour certains auteurs d’un syndrome d’hyperconnection (Bear, 1979) ; ces connexions n’étant pas seulement nerveuses, mais aussi quelque peu sémantiques, délirantes la plupart du temps, et par hypothèse pertinentes dans le meilleur des cas exceptionnels.

Le rappel des deux premiers quatrains de Nostredame peut trouver un écho dans la sémiologie précédente :

  ce qui n’est à croire vain sont des pensées incroyables qui lui viennent à l’esprit, mais il en est conscient puisqu’il les critique. Ce sont celles que le lecteur découvre tout au long des Centuries, comme cet horrible poiffon à face humaine, qui ressemblent à des hallucinations visuelles. Les multiples et innombrables allusions (de vaines confusions ?) empruntées à la mythologie conjuguée au futur pourraient faire penser à des troubles dysmnésiques, et prendre les néologismes pour de la jargonaphasie,

tremissent par les manches : il n’y a pas de doute qu’il s’agisse d’une trémulation, et en particulier des mains, qui parlent souvent en même temps que la langue et la bouche,

Vn peur & voix désignent des manifestations affectives, angoissantes (on ne pourrait se réjouir des annonces calamiteuses lues dans les quatrains), mélangées à des voix dont on ne sait si elles sont entrées par les oreilles ou sorties par la bouche, de toute leur hauteur. Ces voix seraient tantôt des auditions hallucinatoires, tantôt des paroles articulées, voire les unes et les autres. Mais la peur est certainement l’une des plus fortes et fréquentes émotions vécues dans l’épilepsie temporale (Alemayehu, 1995, Biraben,2001), elle laisse un souvenir menaçant, des traces psychiques profondes et durables, et parfois l’impression prolongée d’une renaissance inachevée ou d’une mort subite imminente. L’importance et la fréquence des thèmes macabres et morbides dans l’épilepsie temporale est telle qu’elle devient un des éléments du diagnostic, la distinguant des autres formes cliniques qui font pourtant, elles aussi, la brève expérience d’une mort subite apparente [22]. Et tel est le cas de Nostredame, collectionnant dans ses quatrains 137 mort(s), et 35 moura(ir, nt, rez, ront), devant seulement 34 nais(sance, stra, tront), 20 vie et 13 dieu(x), après 479 grand(e,es,s), record absolu (Dufresne, 1989). Cette collection n’est pas seulement le résultat d’un exercice littéraire, mais la conséquence d’une ou plusieurs expériences psychiques de la mort, d’un voyage de mort vécu (cf. VIII-87), qui nécessitent une lecture médicale des Centuries, car là où Nostredame écrit mort il faudra souvent lire maladie, épilepsie, comitialité, ou leur équivalent grec ou latin de saisie, possession, sommeil, coma, etc. Ainsi, écrit-il en VIII-42 que « Mort dans fa tante [23] diront qu’il dort leans [24] », pour faire entendre que le sommeil Hiraclien ressemble à un état de mort, et le drap du lit au linceul. De même, avec près de quarante occurrences, là où on lira mal il faudra souvent entendre maladie. Et ce qui paraît maintenant presqu’évident, pour un médecin averti devant son grand mal, était resté lettre morte depuis près de cinq siècles, malgré toute la sémiologie littéraire qui l’accompagnait et en soulignait les caractères principaux : divin mal, rendra mal content, bon à mal, mal’heureux tourment, fera mal entendre, grand mal voir, grand mal ruyne, mal parlant, mors en parlant, mal incogneu, occult mal, Roy malade, qui naiftra [de] sens hebeté, de sens trouble, perplex et trouble, en trouble ruyneux, etc.

Enfin, pour être complet, d’autres atypies comportementales sont fréquentes chez certains épileptiques temporaux étudiés par quelques auteurs récents (Bear, Geschwind, Waxman) ayant décrit un syndrome (déjà ébauché au XIXe siècle sous l’appellation de folie religieuse) où les préoccupations ésotériques, théologiques, cosmiques et philosophiques tiennent une grande place (Lemaire, 1992). Ce syndrome, dont la réalité scientifique a toutefois été contestée par quelques uns (Benson, 1991), réunit selon les autres plusieurs signes parmi les plus fréquents : viscosité mentale, hypermoralisme, hypergraphie, irrascibilité et sexualité bizarre ; aucun de ces comportements particuliers n’est à lui seul caractéristique du syndrome, mais tous réunis font un ensemble qui est apparu plus fréquent dans certaines épilepsies temporales. Enfin, ces troubles de la personnalité sont durablement persistants en dehors des crises psycho-motrices et neuro-végétatives. Malgré le contenu philosophique ou religieux des idées exprimées, parfois dans de longs textes, le discours de ces patients est frappé de viscosité et de difficultés relationnelles, les empêchant de résumer brièvement des points essentiels ou de clore une conversation. Et il semble bien y avoir une trace de cette viscosité dans les écrits quelque peu décalcomaniaques de Nostredame, inlassablement les quatrains des Centuries se recopient les uns sur les autres, les mêmes thèmes se retrouvent à la fois dans tous ses textes, des Almanachs aux Centuries, ainsi que dans les préfaces (Ad Caefarem Nostradamum filium, et Epître à Henry Second). Dans cette dernière, il nous est apparu manifeste qu’il y a des redites et des retours, caractéristiques d’un état de viscosité psychique. Il répète dans l’Epître à Henry au moins deux fois la même chose dans sa description des datations et des calendriers bibliques, cette répétition n’est pas successive, il le fait après une digression sur un autre sujet, puis il y revient. Il fait de même avec la description des malheurs de l’Eglise, et des méthodes qu’il a dû employer pour parvenir, selon lui, à prophétiser. Craint-il que le lecteur ne le comprenne pas, ou désire-t-il l’égarer encore davantage ? De toute façon, la viscosité mentale paraît être chez lui présente, bien que masquée par la variété du contenu et les expressions cryptiques, mais au premier plan du personnage.

L’hypergraphie du syndrome temporal (Waxman & Geschwind, 1974), qui est en réalité une manifestation scripturale de la viscosité mentale, s’exprime généralement au plan qualitatif encore par la rédaction ininterrompue de nombreuses expressions stéréotypées, parfois reproduites à l’identique plusieurs dizaines à quelques centaines de fois consécutives comme le tic tac d’un métronome, de précisions excessives ou redondantes, d’images en miroir et d’expressions gigognes, appartenant au domaine philosophique, ésotérique, ou religieux [25]. Dans ces épilepsies temporales, très souvent accompagnées d’épreuves funèbres, les stéréotypies interminables réprésentent les minutes d’un compteur, d’un moulin à parole. Parfois réellement vécues par certains malades confrontés au terme inéluctable de la vie, perçu tragiquement, les minutes de leur existence s’inscrivent alors mot-à-mot comme une suite prolongée d’unités destinée à prolonger leur vie. Alors que chacun sait qu’après la naissance il devra mourir, quoi qu’il arrive, certaines personnes ont une perception de leur fin plus dramatique [26]. La représentation de la mort, serait celle d’un compteur en panne, arrêté pour soi, alors qu’il continue pour les autres, et cette perception est indissociablement liée à celle du temps, et le temps à la mort ; c’est le terme du temps pour soi que l’on ne peut espérer dépasser que par la projection de soi dans celui qui, lecteur, vivra après, dans le passage du matériel au spirituel. La représentation de la mort est le facteur chronobiologique psychique le plus intense qui soit, bien plus que l’alternance jour-nuit ou veille-sommeil dont on sait qu’elle n’est pas mortelle (sauf dans le syndrome des apnées du sommeil) ; la représentation de la mort motive un comportement de lutte, de survie, confinant à un espoir d’immortalité, sinon de résurrection éternelle, ne serait-ce que par procuration, biologique par filiation, ou spirituelle par les lettres. Et voilà comment, comme dans certaines épilepsies temporales, par de longues persévérations nocturnes, l’hypergraphiste de Salon luttait contre l’inéluctable.

Cette hypergraphie, l’activité graphique l’emportant sur la lecture, on ne peut dire qu’elle soit totalement absente des écritures nostradamiennes, où la comitiale agitation Hiraclienne est un modèle clinique de bouche bée gaie (les rouges rouges le rouge en VIII-19, mort mort mordre dans l’Almanach pour Novembre 1563, tombe cher lache en IV-7, dernier periode en III-92, dedans les ifles en I-59, II-100, III-71, VI-27, VIII-64). Cette logorrhée paraît plus évidente dans les Almanachs que dans les Centuries où les redondances synonymiques sont particulièrement bien déguisées, mais par rapport à d’autres auteurs elle n’apparaît pas exagérément développée en volume, eu égard à la quantité modeste de sa production littéraire imprimée, étalée sur les vingt dernières années seulement de son existence. Mais, pour déceler dans une œuvre écrite les éléments logorrhéiques d’une hypergraphie temporale, l’expérience d’un clinicien, plus adaptée ici que celle des meilleures controverses littéraires [27], nous paraît indispensable, conjointement aux déclarations de témoins oculaires : « Il me semble bien qu’il ait tenu cette obscurité de style de la nature elle-même, et qu’il ne l’ait pas recherchée pour l’art. Car même SANS ENTHOUSIASME, j’ai vu bien des choses chez lui qui auraient eu besoin du nageur de Délos » déclarait son familier Jean-Aimé de Chavigny (Brind'Amour, 1993). En outre l’hypergraphie, quand elle vérifiable, est un élément déterminant du diagnostic positif, sinon l’unique matériel en l’absence de témoignages de signes convulsifs ou de signes électriques encéphalographiques dûment enregistrés ; c’est dire la grande difficulté d’un diagnostic historique d’épilepsie psychique sans convulsions, et aussi toute la valeur d’une sémiologie littéraire.


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Le phénix

(Extrait du chapitre XII, Œdipe Fils aveugle)

IV-7:               Le mineur filz du grand & hay prince,
                       De lepre aura à vingt ans grande tache:
                       De dueil fa mere mourra biê trifte & mince.
                       Et il mourra la ou toumbe chet lache.

(1557 : morra biê trifte & mîce/ tombe chef lafche) ; (1568 : bien/ mince,/ tombe cher).

On pourrait calculer que celui qui tiendrait le fiege dixfsept ans, incompetant en X-39 (non compétiteur) pendant dix-huit, finirait par avoir une grande tâche au vingtième anniversaire de son règne (cf. I-48). Le latiniste, en commettant le lapsus sur la tache (du latin labes, chute, souillure ; GAF), aura feint de confondre (EMA) la tache cutanée de lèpre avec la tâche, la taxe ou la rançon que le mineur filz devra payer pour la nettoyer, pour chasser le charbon blanc du noir en IV-85.

Le nom de la lepre [28] vient du grec λεπρος, signifiant écailleux, raboteux comme la peau de l’éléphant qui a donné son nom à deux maladies différentes appelées éléphantiasis : à la lèpre d’une part (associant dans la forme tuberculoïde des paralysies et un vitiligo, des taches cutanées dépigmentées), et d’autre part à un homonyme de la maladie d’Héraklès (Ηρακλειον παθος) décrivant une acromégalie lymphatique, généralement parasitaire sur les bords du Nil, mais divine et sacrée au sommet de l’Olympe [29] (BSC). Dans ce dernier cas, on comprendra mieux qu’un malade hiraclien soit fatigué de sa tache de lepre. Bien plus encore, la lèpre et l’épilepsie ont jadis été perçues comme les symptômes d’une maladie unique [30] et démoniaque [31], appelée bennu en assyrien, et plus tard chez les Hébreux qui employaient pour la lèpre (sāra’at) un mot comparable à celui utilisé pour l’épilepsie (sar`un) en arabe (Stol, 1993 ; pp. 119, 127-130). La relation littéraire entre éléphantiasis et lèpre était déjà connue des lexicologues de la Renaissance, et associée au mot grec du phénix [32], un revenant de l’au-delà appelé benu (ou bnw, prononcé benou) chez les Egyptiens.

Au cas où ces subtilités linguistiques auraient échappé au bibliophile de Salon, la lecture de l’Ancien Testament pouvait déjà indiquer la voie : « Yahvé dit encore à Moïse : Mets ta main dans ton sein ! Il mit sa main dans son sein et, lorsqu’il l’en retira, elle était couverte de lèpre, blanche comme neige. » (Exode, 4, 6), que le traducteur d’Horapollon aurait pu comprendre ainsi : « La main sur le cœur, fouille au fond de ton âme, tu y verras une grande et belle tâche ».[33]

Le mineur filz serait le plus jeune, le plus tard venu, le cadet d’un prince aussi détesté que grand, né d’une triste [34] mère tombée en quarantaine, devenue mince (cf. grec επι-λεπτος, menu ; BSC) après l’accouchement. Mais non délivrée d’une psychose puerpérale, la mère mourra, dans les souffrances d’une amère blessure narcissique.

Ce fils mineur [35], un orphelin né sur le tard, mourra-t-il lui aussi, s’amusera-t-il à la mourre (de l’italien mora, retard), au jeu qui consistait à montrer furtivement à un ami des doigts ouverts dans la main pour qu’il ne puisse en connaître le nombre exact avec certitude ?

Et là où tombe cher lache, par là où las tombe, caduc choit, et lapsus lâche.


(Extrait du chapitre XXIX, Renaissance, Neo post-partum)


III-94:             De cinq cent ans plus compte lon tiendra
                        Celuy qu’eftoit l’ornement de fon temps:
                        Puis à vn coup grande clarté donrra
                        Que par ce fiecle les rendra trefcontens.

(1557 : cens ans/ on tiendra/ l’aornemẽt/ clarté dourra).

Avec comme référence le règne de François Ier, de 1515 à 1547, cinq cent ans conduiraient vers 2015-2047. Cette durée de cinq cent ans, dont rien ne prouve qu’elle soit aussi exacte, paraissant annoncer ici une seconde Renaissance, est à rapprocher de celle du Phénix égyptien, représenté comme un aigle au plumage rouge et or selon Hérodote [36], appelé par les scribes benu [37], un héron [38] apparaissant aux couleurs de l’aurore sur la rive orientale du Nil au début de sa crue, un pêcheur marchant lui aussi sur l’eau, ainsi que son écriture phonétique le figurait formellement (une jambe pour b, de l’eau pour n). Nostredame relatait ainsi son existence, lue dans Horapollon [39] :

Comment celuy qui revient tard de sa pérégrination
Voulant escripre au vray ce que convient
Celuy qui tard revient de son voyage
Paignoient le Phénix qu’en Egipte revient
Lors quant il a d’ans cinq cens de bon aage,
Car quant est proche de sa fin d’avantaige
Que le Phénix s’en retourne en Egipte
Il est traicté par mistères licite
Tout ce qu’ilz ont acoustumé de fayre
D’atribuer aux oyseaulx ont cogite
Tel honneur rendre à luy ont délibère.

Le quatrain III-94 n’indique explicitement aucune des bornes de ces cinq siècles, mais les louanges exprimées sont assez conformes à ceux que Nostredame a trouvés dans Horapollon. Ni l’un ni l’autre n’expliquent la raison de ces cinq siècles, mais la durée se rapprochant le plus près de cette valeur est le produit d’un cycle soli-lunaire de 18 ans (le saros), par celui de la resynchronisation des sept jours de la semaine dans le calendrier annuel (le cycle dominical, utilisé par les calculateurs prodiges vaut 28 ans, en raison des années bissextiles), valant 504 années par l’astronomie et la mythologie réunies, dans une orientation théologique de l’homme au milieu de son univers céleste.

« Maintenant, veux-tu connaître les raisons mystiques de ces calculs ? » demandait un moine anglais neuf siècles avant au lecteur de Nostredame en proposant une période quasi similaire. « Nous devons fixer la date de Pâques le premier mois de l’année, celui que l’on appelle aussi le mois des fruits nouveaux, puisqu’il faut que nous commémorions le mystère de la Résurrection de Notre Seigneur et notre délivrance, l’esprit renouvelé par l’amour des choses célestes (…).

Ce calcul de la Pâques, que nous t’invitons à suivre, s’inscrit dans un cycle de dix-neuf ans, que l’Eglise commença à respecter il y bien longtemps, c’est-à-dire du temps des apôtres, surtout à Rome et en Egypte, comme je l’ai dit plus haut. (…) Il y a tant de mathématiciens, aujourd’hui, dans nos Eglises, à travers la Bretagne, que l’on trouve un nombre très élevé de gens capables de comprendre les calculs des anciens Egyptiens, et d’établir, sans difficulté, les cycles de Pâques pour un nombre infini d’années, même pour cinq cent trente-deux ans, s’ils le souhaitent. Une fois expiré le nombre d’années, tout ce qui relève de la succession du soleil et de la lune, des mois et des semaines, revient dans le même ordre. » (Bède, Hist. Eccl., V, 21 ; Delaveau, 1995).

Et si Nostredame n’avait pas lu Bède ni Hérodote, ni encore Elien [40], peut-être connaissait-il Pline l’Ancien : « Le premier parmi les Romains qui ait parlé du phénix et montré le plus d’exactitude est Manilius, ce sénateur célèbre par son grand savoir qu’il ne tenait d’aucun maître : “ Personne, dit-il, ne l’a jamais vu manger ; en Arabie, il est consacré au Soleil ; il vit cinq cent quarante ans [41] ; quand il devient vieux, il construit un nid avec des branches de cannelier et d’encens, le remplit d’aromates sur lesquels il meurt. Puis de ses os et de ses moelles naît d’abord une espèce de vermisseau, qui devient ensuite oiselet ; il commence par rendre à son prédécesseur les devoirs funèbres, puis il porte le nid entier près de la Panchaïe, dans la ville du Soleil, où il le dépose sur un autel ”. D’après le même Manilius, la révolution de la Grande Année coïncide avec la vie de cet oiseau, et son retour est marqué par le même cycle de saisons et de constellations ; ce recommencement a lieu vers midi, le jour où le soleil entre dans le signe du Bélier… » (Histoires Naturelles, X, 2).

Et ce ne sont pas les inexactitudes rapportées par les anciens auteurs qui comptent, mais la signification mythologique d’un cycle perpétuel, celui de la Résurrection des Morts illustrée par les embaumeurs d’Egypte, comme le racontait le père des Métamorphoses : « Il n’en est qu’un, un oiseau qui se regénère et se reproduise lui-même ; les Assyriens le nomme le phénix. Ce n’est pas de graines ni d’herbes qu’il vit, mais des larmes de l’encens et du suc de l’amome. Quand il a achevé les cinq siècles de son existence, aussitôt, sur les branches et à la cime d’un palmier que balance le vent, de ses griffes et de son bec que rien ne souilla, il se construit un nid. Après y avoir étendu une couche de cannelle, de brindilles de nard aux douces odeurs, de morceaux de cinname mêlé de myrrhe fauve, il s’y place, et achève sa vie enveloppé de parfums. Alors, dit-on, un petit phénix destiné à vivre un nombre égal d’années, renaît du corps de son père. Quand, avec l’âge, il a pris des forces et qu’il est capable de porter un fardeau, il allège du poids de son nid les branches du grand arbre, et pieusement il emporte ce nid, qui fut son berceau et la tombe de son père ; et, une fois arrivé, à travers les airs légers, dans la ville d’Hypérion, il le dépose devant les portes sacrées, au temple d’Hypérion. » (Métamorphoses, XV, 391-407).

Le parfumeur de Salon, s’il n’a retenu d’Ovide ces larmes d’encens, aura peut-être retenu celles de Lactance pour sa lerme fabée [42] en V-16, la larme parfumée (lerme, lairme, du latin lacruma, la goutte de résine, la sève de l’arbre ; Greimas, 1994, Rey, 1994, EMA) parvenue de Saba [43], le pays de l’encens et des palmiers, pour embaumer le corps du phénix au cours de son éclipse [44].

Si le phénix apparaît le plus souvent à la cîme d’un palmier, à la fois par homonymie et parce que cet arbre est « lent à mourir et renaît de lui-même », on le voit aussi dans une forêt de pins selon Claudien [45] (Ferro, 1996), le domaine palmerin de Cybèle, alias Isis. La renaissance (la vie après la mort) était liée à la lune, par le palmier et le phénix chez les Egyptiens (ainsi qu’à l’épilepsie – par le séjour dans l’au-delà des dieux – ou la lèpre [46] chez les Babyloniens [47]) :

Comment ilz signifioient le moys [48]
Et en voulant nous dénocter le moys
Ung rameau paignent de palme verdoiant
Ou renversée la lune comme voiz.
Le rameau pource comme est dict par avand
La lune envoye, car ainsi la voyant
Quant se conjoinct les quinze pars demeurent
Aiant les cornes contremont que nous couvrent
Et quand elle est occulté si abas
A son trentiesme commung du jour s’assure
Aiant les cornes tournées contre bas.

On pourra remarquer qu’il existe, entre une forme itérative de mort récurrente – l’épilepsie – appelée bennu en assyrien, et le phénix, dit benu en égyptien [49], d’autres points communs que la ressemblance phonétique [50] : la renaissance après la mort, la récurrence du cycle lunaire, et la toute puissance céleste de l’au-delà [51].

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L’énigme logique

(Extrait du Chapitre XXXIV, Nostra Logodædalia)


Beaucoup d’exégètes ont émis la critique que l’on pouvait faire dire tout et n’importe quoi aux Prophéties, qu’elles seraient interprétables dans des sens tellement différents voire même contraires qu’en fait elles n’auraient donc aucun sens ; on peut opposer à ces auteurs que ce sont peut être aussi leurs critiques qui n’auraient aucun sens, ou une multitude de sens, et parmi eux l’amnésie, la cécité, la surdité, l’aphasie, le contresens, la jalousie, la bêtise …

La syntaxe totalement permissive des strophes centuriques favorise toutes ces confusions, ainsi comment distinguer entre (a et b) contre (c et d) et a (et b contre c) et d, si les parenthèses ponctuantes sont délibérément omises ? Et pour honorer les auditeurs de Rabelais [52], comme les lecteurs de Plutarque [53], il se pourrait alors que l’humaniste de Salon ait trouvé dans la réponse d’Hipparque à Chrisippe – expliquant qu’avec seulement dix propositions élementaires (telles que a, b, c,… j) on pourrait construire 103 049 propositions complexes affirmatives et 310 952 négatives – un motif à broder presque mille strophes sur la base d’une poignée de rimes martelées au décours d’une comitiale agitation temporale.

Bien mieux encore, le problème de cryptographie posé par les Centuries nous paraît partager, au moins d’un certain coté du miroir, celui posé par le logicien américain Lewis Carroll, dans une fameuse énigme déguisée en absurdité (Poundstone, 1990). Cette énigme est celle que pose quinze propositions, dans lesquelles sont cachées onze variables booléennes :

1. Un logicien, qui mange des côtes de porc au dîner, perdra probablement de l’argent ;
2. Un joueur, qui n’a pas un appétit féroce, perdra probablement de l’argent ;
3. Un homme déprimé, qui a perdu de l’argent et qui va sans doute en perdre plus, se lève toujours à 5 heures du matin ;
4. Un homme, qui ne joue pas et ne mange pas de côte de porc au dîner, est certain d’avoir un appétit féroce ;
5. Un homme enjoué, qui se couche avant quatre heures du matin, ferait mieux de devenir chauffeur de taxi ;
6. Un homme à l’appétit féroce, qui n’a pas perdu d’argent et ne se lève pas à cinq heures du matin, mange toujours des côtes de porc au dîner ;
7. Un logicien, qui est en danger de perdre de l’argent, ferait mieux de devenir chauffeur de taxi ;
8. Un joueur sérieux, qui est déprimé bien qu’il n’ait pas perdu d’argent, n’est pas en danger d’en perdre ;
9. Un homme, qui ne joue pas et dont l’appétit n’est pas féroce, est toujours enjoué ;
10. Un logicien enjoué, qui est vraiment sérieux, n’est pas en danger de perdre de l’argent ;
11. Un homme dont l’appétit est féroce n’a pas besoin de devenir chauffeur de taxi, s’il est vraiment sérieux ;
12. Un joueur, qui est déprimé bien qu’il ne soit pas en danger de perdre de l’argent, reste debout jusqu’à quatre heures du matin ;
13. Un homme, qui a perdu de l’argent et qui ne mange pas de côte de porc au dîner, ferait mieux de devenir chauffeur de taxi, à moins qu’il ne se lève à cinq heures du matin ;
14. Un joueur, qui va se coucher avant quatre heures du matin, n’a pas besoin de devenir chauffeur de taxi, à moins qu’il n’ait un appétit féroce ;
15. Un homme à l’appétit féroce, qui est déprimé bien qu’il ne soit pas en danger de perdre de l’argent, est un joueur.

La question que pose cette énigme n’est énoncée dans aucune des quinze propositions, car elle l’est dans l’ensemble de toutes. Mais si l’on n’imagine pas qu’il puisse y avoir une seule solution, on pourrait être tenté d’en voir aucune, comme plusieurs. Et la solution unique à ce problème de la côte de porc tient dans l’assemblage (logique et compatible avec les quinze propositions) de seulement quatre variables (être logicien, être honnête, se lever tôt, se coucher tard), qui pourraient tenir aisément dans un seul vers nostradamien, au style près. Sur les onze variables utilisées pour poser le problème, sept sont absentes de la solution.

Pour résoudre ce problème de logique, il faut d’abord le prendre au sérieux : imaginer qu’il puisse y avoir une proposition supplémentaire (la solution) qui puisse satisfaire aussi à toutes les autres, isoler les variables, les identifier, ensuite faire 211 hypothèses, soit 2048 hypothèses distinctes, ne pas se décourager, puis faire une chaîne de déductions toutes compatibles entre elles dans un ordre progressivement croissant, ce qui reviendrait un peu à faire une grille de mots croisés sans connaître l’affectation des mots sur la grille. Une des difficultés de ce problème de la côte de porc tient à ce que chaque proposition relie au moins trois variables booléennes ou plus, par exemple les logiciens, les joueurs, ceux qui ont un appétit féroce, etc. Le calcul numérique a trouvé une valeur optimale pour le rapport entre le nombre de propositions et le nombre total de variables (ce rapport vaut 4.25 pour des propositions à trois items, 9.9 pour quatre items, et 21 pour cinq items ; Delahaye, Juillet 1995), en-deça il n’y en a pas assez pour résoudre le problème, au-delà le nombre de propositions différentes est très vite trop grand pour être toutes cohérentes entre elles (satisfiables). Dans les Centuries, avec 3764 vers de 4 à 6 mots environ pour 941 quatrains, ce rapport optimal semble largement dépassé. Cela pourrait confirmer, dans les problèmes de cryptographie, l’intérêt des variables polysémiques ou parasites : utiliser un grand nombre de faux-amis possédant plus d’une acception obligerait le lecteur à formuler un nombre astronomique d’hypothèses inutiles, l’éloignerait rapidement et facilement d’une solution exacte, à défaut de profiter d’une chance inouïe.

Forts de cet exemple, retournons directement à notre propos : combien pourrait-on compter de propositions et de variables booléennes dans les Centuries de Nostredame, combien chaque quatrain associe-t-il de prémisses (de propositions différentes), peut-on facilement identifier ces variables et ces propositions, ces propositions sont-elles vraiment toutes compatibles entre elles, existe-il des problèmes différents à résoudre et combien, etc. ? Pour répondre à une question (un seul problème) comportant douze variables booléennes, le nombre d’hypothèses à formuler serait égal à 4 096, et pour vingt 1 048 576. Mais tout ceci n’est qu’une simplification du problème plus général posé par les Centuries, car les variables ne sont pas (toutes et toujours) booléennes, parfois plusieurs sens pour une seule variable sont possibles, et parfois même aucun ne paraît l’être, et chaque proposition (ligne d’un quatrain) peut être arrangée dans un ordre différent correspondant à une proposition différente (en raison du latinisme de la syntaxe, volontairement permissif). Nous pensons avoir assez bien illustré cette variabilité et cette difficulté, sans l’exagérer toutefois. Eu égard aux éléments que nous venons d’exposer, et s’il est pertinent de vouloir en faire une application au texte nostradamien, notre tentative d’éxègèse ne pourrait que paraître présomptueuse, entachée de nombreuses erreurs et contradictions non résolues.

A celle de Lewis Carroll qui s’exprime d’une seule voix en langage clair, la cryptographie nostradamienne ajoute la polyphonie (français, latin, grec, néologismes) et la polygraphie (planètes, animaux, nombres, rébus) simultanées, et mélangées dans un charabia [54] que le lecteur de Galien et d’Albumasar appelait alors la langue Arabe [55], et proposait à un sçauans condefcendent aux lettres de tranflater en François en III-27.

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[1] Cf. II-76, III-73.

[2] Cf. I-22 : Ce que viura & n’ayant aucun fens,/ Viendra lefer à mort fon artifice,…

[3] ΒΑΡΒΑΡΟΣ : Barbarus, Pronũtiatione vitiofa & infuavitens literafq ; malè exprimens, blæforũ balborumque more (…). H. Estienne, 1572, Thesaurus graecae linguae.

[4] Cf. VIII-36 : Non Bleteram refifter & chef d’oeuure.

[5] Cf. I-42 : Cherchant les os du d’Amant & Pfelin.

[6] « Comment ilz efcripuoient le taire ou silence. Pour la fignification du taire & filence ilz efcrpiuoient le nombre de M.LXXXXV. abrege qui eft le nombre de troys ans a cõpter troys cens foixante cinq iours pour chafcun an voulans entendre que de ce temps de troys ans lenfant ne parle point & combien quil ait la lãgue fi nen a il pas lufaige. » (Orus Apollo, Ed. J. Kerver, 1543).
« Quomodo taciturnitatem. Taciturnitatem fignificantes, numerũ fcribũt .M.XXXXV. qui numerus eft annorum trium, cõfituto anno ex diebus. CCCLXV. Intra qď tẽpus cum nõ loquatur infans fignificatur, & fi lĩguam habuerit, illi tamẽ uocem defuiffe. » (Ori Apollinis, Trebazio, 1521).

[7] Πως αφωνιαν, αφωνιαν δε γραφοντεσαριθμον ,α˙ ς˙ ε˙[…]. (Hieroglyphica graece, Venetiis, 1505).

[8] « Iam minus etiam diducto rictu sonatur ac pene coeuntibus dentibus, quibus sensim lingua illiditur, qua parte sunt genuini, sic vt labia nihil adiuuent sonitum, sed reducantur potius aliquantulum, vt in e.(…).Et hic bifariam peccatur a multis. Siquidem apud Brabantos campestres quidam pro i sonant diphtongum Graecum ει, quam euidenter audis quum nostrate lingua dicis ouum, et quum Latine dicis hei mihi, veluti quum pro via dicunt veia, pro pia peia. Rursus Scoti quidam pro e sonant propemodum i, dicentes pro faciebat faciibat. (…). Siquidem Victorinus Afer obiurgat discipulos suos, quod e verterent in i, et rursus i scriberent pro e. (…).

Rursus aliquot ideo dicuntur propriae diphtongi, quod duae vocales vt scribuntur, ita sonantur, quod idem in his non fit quae dicuntur abusiuae diphtongi. (). Atqui in αι, οι, ειquid audis nisi simplicem voacalem, in prima e, in caeteris ? » (De recta latini graecique sermonis pronvntiatione dialogus ; 1529, 1540, 1973 p. 936, 938).

[9] « If he, being heavy [lethargic], contorts either his hand or his foot : a stroke has struck him ; he will recover.” (Stol, 1993, Epilepsy in Babylonia, p. 75).

[10] Cf. Excellent & moult utile Opufcule : «… à vn perfonnaige qui tomberoit du mal epilpentique, il conforte le cerueau en fi bonne preferuation que fil tomboit vne foys le moys, il ne tomberoit de trois moys vne foys. » (Chap. XI ; p. 59). « (…) cõpofition, qui eft egale en uertu & efficace à l’or potable (…) preferue le perfonnaige de tomber en inconueniens de maladie, conforte le cœur, l’eftomac, & le cerueau, guerit du mal epilentique à ceux qui n’ont encore vingtcinq ans… » (Chap. XXVII ; p. 97). « Pour faire l’huylle que Medæa faifoit (…) pour fubitemẽt exciter vn perfonnaige qui feroit tumbé du mal epilentique, que tant feulement luy en mettant vne goutte dens les nafeaux, fubitement il s’eueillera : & fi l’on fe trouuoit quand il veut tomber, garderoit quil ne tomberoit point cefte fois. » (Chap. 31 ; p. 113).

[11] Cf. VIII-16 (Au lieu que HIERON feit fa nef fabriquer), et X-63 (Cydron, Ragufe, la cité au faint Hieron).

[12] Ιρά. ας. ή. facra, facrificia, admiranda. (Gesner, 1537, Lexicon graecolatinum).

[13] Accompaigné, Comitatus (R. Estienne, 1549).

[14] Peur, ou Paour. Il uient de Pauor. Timor, Terror, Formido. (R. Estienne, 1549).

[15] Ηρακλειοσ, herculanum papaver. Theophr. Lib. 9. Hift.plant. (Lexicon, Budé & coll., 1562).

[16] « Pour faire uenir les cheueulx blonds cõme un fillet d’or,…prenes…de racine de chelydonia,& de papauer cornutum de chacune quatre onces, de feulles & fleur de glaucion ou guelde deux onces… » Excellent & moult utile Opufcule, Divers Fardemens, Chap. XXIIII ; p. 86.

[17] « [Aristote] appelle “sophismes par amphibolie” tous les cas d’ambiguïté dans la phrase même en elle-même, ainsi pour génoito katalabeîn tòn hûn eme (“fasse que me/je prenne le sanglier”) : dans ce cas, aucun des mots n’est ambigu, mais c’est la phrase elle-même qui, sans autre appui qu’elle-même, signifie le fait de “prendre” aussi bien que celui “d’être pris”. » (Galien, Des sophismes verbaux, Ed. Flammarion, 1998).

[18] VIII-69 : Aupres du ieune le vieux ange baiffer,/ Et le viendra furmonter à la fin/ Dix ans efgaux au plus vieux rabaiffer/ De trois deux l’vn l’huitiefme feraphin.

[19] « Pourtant amy lecteur fi tu voys quelque matiere, laquelle ne te foit agreable, ou par nouité te faille retirer le front, ie te diray ce qu’ay veu engraué en marbre. Credis fum Pythiovera magis tripode. Vray eft qu’il y a beaucoup de chofes, que font chieres & difficiles a faire : mais fi tu veux dens ton cerueau calculer, ne trouueras chofe que ne foit que par trop facile a faire : mais qui vouldroit vfer d’vne par trop feuere auarice, il pourroit bien eftre, que l’intention de quoy l’on pretẽd feroit fruftrée. » (Excellent & moult utile Opufcule, Diverses confitures, chap.XXX ; p. 220).

[20] « Hinc efficitur, vt qui ingenij acumine pollent, huic morbo frequenter obnoxij fint, vt de Cæfare, Mahumete, Carolo quinto Imperator fcriptum legimus. » (Rondelet, 1575, Methodus curandum…, De Epilpefia, caput alterum. p. 172).

[21] Le livre d’Albucassis (Abu al-Qasim, Liber theonicae nec non practicae Alsaharavii qui vulgo Acarius dicitur), a été traduit en latin et édité en 1519 à Augsburg (cf. Penfield, 1963).

[22] Cf. Postel : « Chapitre XXXI. Qu’il falloit qu’il souffrist double mort la plus estrange et excellente ou exquise en tourment qui onc au monde fut, ne qui jamais sera. (…) Voluntairement, et non pas nécessairement mourir, c’est le rapt ou l’ecstase, qui par force voluntaire d’eslever le cœur, ou pour dire mieulx la mente, l’esprit, l’anime et l’âme à contempler prier et glorifier Dieu, se faict en tele sorte et par tele douleur que le corps demeurant du tout comme mort, soufrant d’estre taillé, rompu, brisé et bruslé sans aulchune douleur, jusques à ce que l’âme, anime, esprit et mente retournant au corps, luy faict sentir les douleurs qu’alors qu’elles se faisoient ne se sentoient. » (TPU, p. 149).

[23] Tante, Pic. Ante, & Belle ante.

 Tente. Est ores vn pauillon de camp. Tabernaculum militare. Ores vn drap de chanure ou autre toile fouftenue à bafton feruant de ciel aux reuendeurs & autres petits ouuriers… (Nicot, 1606).

[24] Du latin illac-intus, à l’intérieur, là-dedans. (Catach, 1995, GK).

« Ens, se dit pour dedens : comme ici ens. Et parlans d’un lieu plus loing, nous disons, il est liens, va liens, je vien de liens. Et ne fault pas escrire leans, non plus que ceans a bon vin, mais liens, ciens. » (Godefroy, 1885 ; R. Estienne, Traicté de la Grammaire françoise, p. 91, éd. 1569).

[25] Les thèmes, le style littéraire de Nostredame, et son portrait psychologique aussi, ressemblent à celui de Guillaume Postel : répétitions, retours et variations, thèmes de mort et de renaissance, pléonasmes, antithèses, paradoxes, néologismes, barbarismes (cf. Simonnet, Bailbé, Actes du Colloque international d’Avranches, 1985) ; avec des différences : l’un a écrit des vers incompréhensibles, l’autre une prose explicite.

[26] Pourquoi Kant a-t-il écrit à quarante ans, un Essai sur les maladies de la tête, alors qu’il allait devenir victime quelques années plus tard d’une tumeur cérébrale frontale qui, bien que très lentement évolutive, ne l’empêchera nullement d’être l’auteur génial de la Critique de la raison pure, avant de mourir dément ? (Marchand, 1997).

[27] « Les lettres de Nostradamus, que Chavigny n’avait pas lues, sont cohérentes, de même que les épîtres dédicatoires, comme la dédicace à Fabrice de Serbellon, dans l’almanach pour 1563, (…). Nul besoin non plus d’être le nageur de Délos pour lire l’Excellent et Moult Utile Opuscule. »  (Brind'Amour, 1993 ; p. 435).
« Le Traité des Fardements et Confitures est écrit dans un français que plusieurs auteurs ont jugé mauvais, notant une addition de mots sans suite logique, une accumulation d’amphibologies et de termes équivoques, à tel point que l’ésotériste P.V. Piobb a pensé à la dissimulation d’une clef cryptographique. » (Benazra, 1990).
Cf. les commentaires sur la Paraphrase de Galien, cités dans Benazra (p. 26) : « … je ne vis dans cette traduction souvent presque inintelligible, même avec le secours du latin, qu’une suite d’offenses à la grammaire et au sens commun, de contresens faits à plaisir, et d’omissions qui brisent le fil de la pensée, dans le but évident de révolter le lecteur et de se faire passer pour un fou ». (F. Buget, Bulletin du bibliophile, 1861, pp. 395-412).
« Le style du traducteur est absurde, et n’offense pas moins le sens commun que la grammaire. » (J.-Ch. Brunet, Manuel du Libraire, t. IV, col. 106).

[28] Lepre, rongne, & galle, ce que les ignorans appellent le mal S.Main, ou de sainte Raphine. (R. Estienne, 1549).

[29] « But in the time of Agust there appears a standard formula guaranteeing that the slave is “without the Sacred Disease and epaphē ” (…). The word is derived from of verb meaning “to touch (upon)”, “to attain” (epháptomai), the basic meaning of which reminds us of Neo-Assyrian sibtu, deriving from sabātu “to seize” (…). What disease can be meant by epaphē. The word reminds us of its simple form, haphē, in Septuagint Greek standing for Hebrew nèga, one of the word for “leprosy” in the Old Testament and in later Rabbinical litterature. This Greek translation of the Old Testament, made in Egypt, used this Greek word as equivalent for “leprosy”. (…) But if it is accepted that eléphas in Hellenistic Greek and Latin is identical with epaphē, the translation “leprosy” would be certain. And if we could see a continuous legal tradition connecting the Assyrian pair bennu – sibtu with the pair Greek Sacred Disease – epaphē, we might also be inclined to posit “leprosy” as the meaning of Assyrian sibtu, lit. “seizure”…» (Stol, 1993 ; p. 139-140).

[30] « Thinking in more sophisticated terms, one might say that epilepsy and leprosy (or any another severe skin disease) can be considered as internal and external manifestation of the same affliction. Then, it is logical that the same plants were used against both : the ellebore by the Greeks, the urānu by the Babylonians. The Greeks saw as their common natural cause the black bile. » (Stol, 1993 ; p. 147).

[31] « On croit qu’elle vient de l’influence de la Lune aux hommes méchants et perdus de mœurs ; d’où vient qu’on l’a nommée mal sacré. Mais ce nom peut venir encore de la grandeur du mal (car ce qui est grand est dit sacré), soit de l’insuffisance de la médecine humaine et de la nécessité d’une intervention divine pour la guérir, soit  de l’espèce d’influence démoniaque sous laquelle semble être l’homme qui en est atteint, soit enfin de toutes ces choses à la fois. » (Arétée de Cappadoce, Des causes et des signes des maladies chroniques, I, 4 ; trad. R. Th. Laënnec).

[32] Φοινικη, phoenicia, Syria, & morbus in ea regione, aliisquam orientalibus frequens, quidam pro elephantiafi, quam nos lepram dicimus, accipunt. (Gesner, 1537, Lexicon graecolatinum).

[33] Cf. V-58 : « De laqueduct d’Vticenfe,Gardoing,/ Par la foreft & mont inacceffible:/ En my du pont fera tafché au poing,/ Le chef Nemans qui fera tant terrible. ». Vticenfe se rapporte à Utique ou Utica (devenue romaine, appelée Municipium Julium Uticense sous Auguste), une ancienne cité phénicienne près de Carthage, tandis que le Gardon est le nom du fleuve passant sous le pont du Gard ; paraphrasant la métaphore du phénix, laqueduct d’Vticenfe serait alors l’image allégorique de la Renaissance, d’un antique aqueduc punique (comme celui de Carthage, long de 132 kilomètres), d’un vieux porteur d’eau, ou des fons baptismaux.

[34] Cf. Rabelais : « Je le prouve (disait-il) : notre sauveur dit en l’Evangile, Joannis, 16., La femme que est à l’heure de son enfantement a tristesse : mais lorsqu’elle a enfanté, elle n’a souvenir aucun de son angoisse. » (Gargantua, Chap. V, Comment Gargantua naquit en faczon bien estrange ; Defaux, 1994).

[35] Vng mineur de douze ou quatorze ans, qui n’eft plus en puiffance de pere, Pupillus pupilli. (R. Estienne, 1549).

[36] « Il y a encore un autre oiseau sacré appellé le phénix. Je ne l’ai pas vu, sinon en peinture; aussi bien visite-t-il rarement les Egyptiens, tous les cinq cents ans, à ce que disent disent les gens d’Héliopolis : il viendrait d’après eux, quand son père meurt, (…) les plumes de ses ailes sont les unes couleur d’or, les autres d’un rouge vif, (…) il ressemble de très près à l’aigle. » (Histoires, II, 73).

[37] « Le nom du phénix est la transcription du nom égyptien benou, le héron Ardea cinera ou Ardea purpurea (…). La racine du nom est bn, elle est redoublée (bnbn) lorsqu’elle désigne la pierre sacrée dressée dans le temple d’Héliopolis, pierre qui fut par la suite représentée sous la forme de l’obélisque. Le temple de Rê, à Héliopolis, était « la demeure du Ben-ben ». (…) Le phénix, sous la forme du héron, est représenté dans les tombes où il est adoré par le défunt. Selon le Livre des Morts, le défunt s’identifie à lui. », (Rachet, 1992).

[38] a) « Le flament, ou flambant, (…) Phoenicopterus en grec &  latin ». (Belon, 1555, De la nature des Oyseaux, IV, 8, p. 199).
b) « Une espèce d’oiseau à long col, à longues jambes, et peint de couleur rouge vif dans les légendes hiéroglyphiques monumentales, détermine souvent l’adjectif copte rouge. ». (Champollion, 1836, Grammaire égyptienne, XI, p. 321 ; Réed. 1997, Solin Actes Sud).
c) Dans son Interprétation des Hiéroglyphes le lecteur d’Horapollo fait suivre immédiatement après chaque épigramme traitant du Phénix, un autre épigramme figurant une cigogne. Après celui montrant la correspondance de Mercure avec la cigogne, vient celui mis avec ce Que faict le Phénix après sa naissance : « Comment ilz signifioient amateur de parents/ Et l’enfant qui est du père amateur/ Pourtant amour aux parens cordiale/ Signifier voulant sont inventeurs/ Bien paingdre exprès la cigoigne loyale/ Pour ce que pourte au père amour féale/ Ne l’abandonne par froit, ne par pouvresse/ Lui pourchassant vivre par sort équalle/ Le secourant à l’extrême vieillesse. », compilé depuis l’édition anonyme de Kerver en 1543 : « Comment ilz fignifgoient lenffant aymant fon pere. Pour fignifier lenfant qui ayme fon pere ilz mectoient la cigogne pource q apres quelle a efte nourrie de fes pere & mere elle ne les habandonne point mais demeure auec eulx iufqs a lextreme vieilleffe & les fert & nourrit ». Un peu plus loin, « l’homme scavant et docte aux choses célestes » est figuré par une grue (Rollet, 1968, p. 122, 145).
d) « Just how the benu was visualised in the time of the Old Kingdom is not enterely clear. It is usually assumed that it was thought to ressemble the yellow wagtail. At a later period it was always represented as a heron bearing two long feathers at the back of its head. In Roman times the Egyptian manner of representing the benu was merged with the Classical iconography of the phenix. » (VDB, p. 15).

[39] Rollet, 1968 (p. 62).

[40] « De Phoenicum auium numerandi peritia, quae quingentefimo quoque anno aduolare in Aegyptum folent. Phoenices alites absque ulla calculandi arte numerum quingentorum annorum, veluti sapientissimae naturae discipuli, computare norunt ; neque vel digitis vel alia re ad hanc cognitionem opus habent…[Αυευ δε λογιστικης οί φοίνικες συμβαλεϊν έτων πεντακοσίων ίσασιν άριθμόν…] » (Elien, 1556, De Animalium Natura, VI, 58).

[41] « Probatũ eft quadraginta & quingẽtis eũ durare annis. (…) Cum huius uitam magni anni fieri cõuerfione rara fides eft inter auctores. Quãuis plurimi eorum magnum annum non quingẽtis & quadraginta fed duodecim milibus. Dcccc.liiii. annis conftare dicant. » (De mirabilibus Mundi, Solin, 1498).
« Il vit cinq cent quarante ans. (…) La révolution de la grande année se rapporte, d’après les auteurs, à la vie du phénix ; quoique beaucoup plus d’entre eux disent que cette grande année n’est pas de cinq cent quarante, mais bien de douze mille neuf cent cinquante quatre ans. » (Solin, Polyhistor, 34 ; Agnant, 1847).

[42] V-16 : A fon hault pris plus la lerme fabee,/ D’humaine chair par mort en cendre mettre,/ A l’ifle Pharos par croifars perturbee,/ Alors qu’à Rodes paroiftra dur efpectre.

[43] Cf. Strabon, Géographie, XVI, 4, 19.

[44] « Il va chercher alors dans la riche forêt,/ Les parfums d’Arabie et les sucs d’Assyrie,/ Ceux qui viennent de l’Inde et ceux que le Pygmée/ Cueille dans son pays, et ceux de la Sabée,/ Le cinname et l’amome aux puissantes senteurs,/ Il les assemble avec les feuilles balsamiques./ La casse à l’odeur douce et l’acanthe embaumée,/ Et les larmes d’encens tombant en lourdes gouttes,/ Il les joint aux épis encor tendres du nard,/ Avec la panacée et l’essence de myrrhe. » (Lactance, De Ave Phoenice, v. 59-68 = 79-88 ; HL, p.69).

[45] « Ardua Caucasio nutat de vertice pinus. » (Idylles, v. 32).

[46] « In Pharaonic Egypt, we come across a very similar belief : certain sores on the skin, discussed in the medical Ebers Payrus, are named “sores of Chons” – and Chons is the god of the moon. » (Stol, 1993 ; p.128).

[47] « The Babylonian demon of epilepsy, the deified Bennu, is named “deputy of Sîn” which seems to illustrate this indirectness : the Moon-god, not being present himself, sends his messenger. (…) ; Omina of the Seleucid age forecast that lunar eclipse at the moment of the conception means that right after birth the baby will be seized by incubus of Hand of the God. We already have seen that these afflictions are forms of epilepsy or closely related to it. (…) ; A prayer to Sîn is to be recited three times, before a reed altar while the patient is present. (…) ; The epithets used in the prayer show that Sîn is invoked as the god who rejuvenates mankind (because the moon is reborn every thirty days, so one reads between the lines). (…) In this prayer Sîn is asked “that the bennu which seized him will not approach him” (…) ; bennu is the regularly recurring form of epilepsy. » (Stol, 1993 ; p. 131-132).

[48] Rollet, 1968 (p. 31). Cf. Ed. J. Kerver, 1543 : « Pour denoter les moys ilz paignoient vng rameau pour la caufe deffudicte de la palme, ou la lune rẽuerfee pource qlz dient que incontinẽt apres le renouellemẽt de la lune il fen faut quĩze parties quelle ne nous appere formee ayant les cornes contremont. Quant elle eft en conioinction lors que nous difons quil neft point de lune a fon trentiefme iour elle a les cornes tournees contre bas. ».

[49] Le nom égyptien du phénix a été transmis par les hébraïsants de langue latine jusqu’à la Renaissance, pour désigner un fils éternel et unique, lumineux et igné : « Ben. filius vel filiatio. ; Benir. filius incẽdẽs vel filius lucidus feu filius luminis aut filius igneus. ; Bennum. filius feruus vel filius pifcis fiue filius vnicus aut filius sempiternus. (Jérôme, 1513, Interpretationes Nominum Hebraicorum). Isidore, Etymol., XII, 7, 22 : « …vel quod sit in toto orbe singularis et unica. Nam Arabes singularem “phoenicem” vocant. » (cf. VDB, p. 61).

[50] Pour certains l’origine du mot grec φοινιξ serait égyptienne, pour d’autres l’origine serait sémitique par un intermédiaire mycénien po-ni-ke en écriture linéaire B désignant tantôt un griffon, tantôt la teinture rouge des Punites, les fils d’Issachar de la Génèse (Chantraine_1999, HL, VDB, pp. 62-66, 397). Bien que les premiers Hébreux aient migrés de l’Euphrate vers le Nil (vers -1950), que Joseph le fils de Jacob se soit trouvé en Egypte au moment où le roi de Babylone, Hammourabi, inscrivait le mot prononcé “bennu” dans son code de lois (vers -1700), et que l’on ait retrouvé dans la cité d’Akhénaton (Tell El-Armana) des tablettes cunéiformes datant de 1350 av. J.-C. prouvant l’existence d’échanges linguistiques, le mystère des origines étymologiques s’efface devant la nécessité d’une étude sémantique des réprésentations mentales de la résurrection sous toutes ses formes.

[51] « How is the form of epilepsy called bennu distinguished from the others forms ? Not at all, one is inclined to say, because it is the general word for “epilepsy”. However, periodicity may be its special characteristic. The clausula about the possibility of bennu in slave contracts, to be studied later, points to a chronic disease with reccurent manifestations, and the iterative form in the letter from Mari has the same implications : bennu falls on the woman “time and again”. The title of a literary work preserved in a catalogue also suggests periodicity : “Bennu was renewed”; the same verb was used for the moon “renewing” every month. » (Stol, 1993, p. 7).
« The texts from the Book of Dead cited above have already made it clear that the dead could identify himself with the benu. In this identification the benu could be taken as the “ba of Re” that brings the elements of life to the realm of the dead. But in this context the bird could also be seen as a form taken by Osiris, the god of the realm of the dead. The New Kingdom knew a tendency to identify Re with Osiris, and therefore the benu could also be indicated as the “ba of Osiris”. (VDB, p. 18).

[52] Rabelais, Tiers Livre, III.

[53] Plutarque, Propos de table, VIII, 9.

[54] Mot voisin du provençal charrá, causerie, charrado, charade (Rey,1994), synonyme de l’espagnol algarabia, la langue arabe, ou du portugais algravia, arabia.

[55] III-27 : Prince libinique puiffant en Occident/ François d’Arabe viendra tant enflammer/ Sçauans aux lettres fera condefcendent/ La langue Arabe en François tranflater.


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